Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission: infiltrer un groupe de chasseurs
Renseignement sur l’objectif: le clan des chasseurs n’a pas toujours bonne réputation
Localisation de l’objectif et date: les Bans – Les Cottards – Date : 2 octobre 2023
Observations du terrain: l’enquête va se concentrer sur le jour de l’ouverture de la chasse. Recueillir un maximum d’informations en menant une enquête directement en forêt.
« Nous sommes des chasseurs mais nous sommes aussi des passionnés et des amoureux de la nature. Nous perpétuons une tradition vieille de plus de 2000 ans, partagée dans de nombreux endroits dans le monde. » Ces mots sont ceux de Steeve Flück, le président de la société des chasseurs du Val-de-Travers. Peut-on vraiment le croire ? Comment se déroule une chasse en battue ? Quelles précautions prennent-ils et dans quelles conditions opèrent-ils ? Doit-on croire tous les clichés qui traversent les générations à propos des chasseurs ? Le meilleur moyen de savoir tout ça est de m’infiltrer dans leur groupe et de les suivre « en action ». J’ai donc intégré une équipe de chasseurs pour vivre l’ouverture de la chasse à leurs côtés.
Rabattre le gibier en direction des tireurs en poste
Ce matin du 2 octobre, il fait plutôt frais. Ma montre outdoor affiche 6 degrés lorsque je quitte le Val-de-Travers. Il fait encore nuit car on chasse aux aurores, c’est une question d’habitude. Une question d’ambiance aussi. Les premières heures de la matinée sont calmes et permettent de mieux « vivre la nature » grâce à tous ses bruits caractéristiques. Mes sens sont en éveil à l’idée de participer à cette journée attendue « à fusils chargés » par les 300 chasseurs qui se côtoient dans les forêts neuchâteloises. Nous arrivons sur notre terrain de chasse situé dans la région des Bans et des Cottards. Avec moi, nous serons cinq. Il y a Steeve Flück et trois autres équipiers. Tous ont l’expérience qui parle pour eux. « N’oubliez pas le meilleur de l’équipe ! » Ah oui, j’allais presque oublier Tom, notre chien de chasse de race Wachtel. Nous allons chasser en battue et il aura donc un rôle déterminant à jouer. La battue est très simple, il s’agit de rabattre les animaux en direction de tireurs postés à des endroits stratégiques. L’avancée des rabatteurs fait fuir le gibier hors de la forêt où attendent les tireurs, prêts à faire feu. Outre le point final d’une chasse, qui est le tir d’un animal, on côtoie un univers rempli d’histoires lorsque l’on chasse. Ainsi, l’équipe du jour utilise encore la corne de chasse pour communiquer entre elle, à l’heure du « tout numérique ».
Besoin de régulation : 60 sangliers tués en 1970, près de 10’000 abattus en 2020
Ce 2 octobre, Tom n’est pas aidé. Il y a très peu d’humidité en forêt alors que c’est ce qui permet de « porter » les odeurs. Et en chassant en équipe, la stratégie entre également en ligne de compte. Il faut élaborer des plans pour avoir une chance de remporter la partie. En l’occurrence, nous visons le chevreuil ce jour-là. Il est possible de le chasser uniquement pendant 6 semaines durant l’année et un chasseur n’a pas le droit d’en tirer plus de deux par an. Les périodes d’autorisation varient d’une espèce à l’autre. Pour le lièvre, ce sont deux jours seulement par exemple. « Cela dépend de l’effectif des populations en question. Une trop grande prolifération est contre-productive pour la nature car elle engendre des dégâts aux forêts et aux cultures. En Suisse, le taux d’accroissement des cerfs et des sangliers est très élevé. Raison pour laquelle il est possible de le tirer plus souvent dans l’année que le chevreuil. » Cette évolution est criante sur une plage-temps de 50 ans. En 1970, 1611 cerfs rouges étaient abattus en Suisse. En 2020, ce chiffre est monté à 14’116. Le sanglier fait encore plus fort, voyant son total passer de 60 à près de 10’000 bêtes tirées.
Aimer la nature, respecter une tradition et vivre sa passion au grand air!
Pendant que l’on discute, Tom continue à pister le gibier. Il a réussi à faire sortir un chevreuil du bois mais il est passé trop loin des tireurs pour être atteint avec les fusils à canon lisse utilisés. Plus tard, le groupe parviendra à tirer une chevrette grâce à un excellent travail du chien de chasse et du tireur. Sur une journée, un chien de chasse peut courir l’équivalent d’un bon marathon. La journée est donc régulièrement segmentée par des pauses ravitaillement. Non, pas d’alcool pour les chasseurs ! De l’eau pour le chien et du café pour eux. Le mythe du chasseur aviné a du plomb dans l’aile et relève du cliché sans grand fondement. « Comme un conducteur, le chasseur est désormais limité à un taux de 0.5 gramme maximum par litre de sang. Les 5 gardes-faune cantonaux peuvent pratiquer des contrôles. » Grâce à cette journée, je comprends mieux ce qui se passe en forêt. On est loin d’une traque et même d’une battue bruyante, comme cela peut se faire en France voisine. Ici, la chasse est discrète et silencieuse. Il y a beaucoup d’écoute, de patience et de moments de complicité partagés avec la nature. Le chasseur crée des couloirs pour la faune et il participe au recensement de la bécasse notamment. Mission « éclairage » réussie ! Je rentre au Courrier. Cet article s’autodétruira dans quelques semaines quelques mois ou quelques années. Tout dépend dans quelles mains il tombera.
La Question à ne pas poser: La chasse peut-elle être considérée comme une forme de corrida en pleine nature?
C’est loin d’être une corrida. On ne tue pas pour le plaisir puisque le but premier de la chasse est de contrôler l’expansion du gibier présent sur un territoire donné. Contrairement à la corrida, où chaque duel se termine par une mise à mort, il n’y a pas de fatalité dans notre activité. Un chasseur peut passer plusieurs jours en forêt sans tuer un seul animal. Je trouve qu’il n’y a rien de plus beau que de marcher en forêt avec ses amis et ses chiens. J’aime écouter la nature pour mieux la comprendre. Le coup de fusil, qui peut venir ou non au cours d’une journée de chasse, ne représente qu’une infime partie du processus. Vous savez, la chasse est avant tout une passion. Je représente la 4e génération de chasseurs dans ma famille. Chasser, c’est aussi faire corps avec la nature et oublier ses soucis quotidiens quelques instants. Steeve Flück, président de la société des chasseurs du Val-de-Travers et menuisier.
La majorité du gibier consommé en Suisse vient de l’étranger
Lorsqu’un tir de gibier est exécuté, une procédure se met rapidement en place. « Un bracelet d’identification est posé autour d’une patte puis on remplit un ‹ rapport › avec différentes informations (lieu du tir, date, heure, type d’animal, sexe,…) que l’on dépose au Service de la faune à Couvet », déroule Steeve Flück. Ensuite, il convient de faire le nécessaire pour assurer la conservation de la bête tirée. « Généralement, on la charge dans les minutes qui suivent dans un véhicule et on l’emmène dans une chambre froide que j’ai à mon domicile. » Pour la petite histoire, les voitures des chasseurs peuvent parfois être passablement éloignées du lieu du tir. « On a l’obligation de parquer à moins de 200 mètres d’une habitation. Cette vieille loi avait été créée pour éviter le braconnage. » La question de la chasse exacerbe les émotions et les croyances plus ou moins fondées. Pratique dépassée pour les uns, tradition à protéger pour les autres, le débat fait rage. Aujourd’hui, le président de la société des chasseurs du Val-de-Travers voit une nouvelle tendance émerger. « On forme une autre génération de chasseurs, soucieux de revenir à un rapport direct avec les produits qu’ils consomment. Une forme d’alimentation responsable à l’opposé de celle qui consiste à faire venir du chevreuil de Pologne. » En 2016, Proviande et l’Union suisse des paysans indiquaient qu’environ 70% du gibier consommé en Suisse provenait de l’étranger. Le rapport de force serait plutôt de 60 – 40 aujourd’hui mais avec une part toujours plus importante liée à l’élevage.
Steeve Flück utilise la corne de chasse pour communiquer avec le reste de l’équipe. Chaque message est codifié par le son.
Les trois chasseurs les plus expérimentés du groupe débriefent de la battue précédente.