En 2024, le Courrier du Val-de-Travers hebdo (et l’imprimerie Montandon qui va avec) fêtera ses 170 ans. D’abord hebdomadaire, il paraît deux fois par semaine dès 1887 puis trois fois à partir de 1905. Il devient même quotidien le 14 août 1944 avant de redevenir « un hebdo » en 1968. Fondé dans un petit atelier fleurisan, il doit sa naissance aux frères Louis et Frédéric-Guillaume Montandon. La technologie d’impression d’époque était ce qu’elle était, il fallait dix heures pour imprimer 600 exemplaires de quatre pages. La fontaine de la Place-d’Armes était notamment utilisée pour tremper les feuilles d’impression afin de pouvoir les encrer manuellement plus facilement. Cette histoire est aussi l’objet d’une belle saga familiale.

Au fils des décennies, les générations de Montandon se succèdent à la barre de l’entreprise. Ce renouvellement des têtes et des idées permet au Courrier de franchir le temps en gardant intact le soutien de toute la population du Val-de-Travers. Depuis 2001, c’est la cinquième génération qui est aux commandes. Isabelle Rota-Montandon et Duilio Rota sont notamment accompagnés de leur fille Carole. Ensemble, il ont ouvert un nouveau gros chapitre de l’entreprise en se jetant dans le « confluant du numérique ». La création d’un site internet optimisé et le développement de la présence du journal sur les réseaux sociaux vont désormais de pair avec la vie du journal, qui paraît tous les jeudis et qui est livré par une cinquantaine de jeunes livreurs depuis 1923. C’est l’une des traditions qui perdurent encore aujourd’hui. Voici 170 ans d’histoire expliqués en neuf points clés !

  • 1854

    16 décembre 1854, le premier numéro !

    De la devise de la famille Montandon émanent la foi, le dépassement de soi et le courage du marin : « Je tiens ferme dans cet océan, et m’attache visiblement au firmament » Pour passer les écueils, l’équipage du Courrier a fermement cru en ce qu’il faisait et il y croit encore aujourd’hui. Il n’y a pas d’obstacle trop difficile à franchir comme il n’y a pas de limite à l’existence du Courrier du Val-de-Travers hebdo. « Rude combat et étonnante odyssée dans la rage des vents », reconnaissait Claude Montandon. Mais quoi qu’il arrive « l’équipage est à son poste et le voyage continue », ajoutait-il aussitôt ensuite. En 2024, cela fera très exactement 170 ans que l’expédition a hissé la grand voile. Les « soldats de l’eau » ont changé mais les fondamentaux et les valeurs sont restés les mêmes au bord de l’Areuse.

    C’est en 1854 que tout a commencé. Louis Montandon et son frère Frédéric-Guillaume ont fondé la « Société Montandon Frères » et ont lancé le premier numéro du Courrier du Val-de-Travers le 16 décembre. Ils ne le savent pas encore mais leur journal va traverser trois siècles (série en cours). Par cet acte, ils entendaient répondre à « L’Indépendant », qui prétendait défendre les intérêts du Val-de-Travers depuis… Neuchâtel. Pour eux, « le Vallon est bien capable de se défendre tout seul ! » Au début, le Courrier paraît tous les samedis et il est distribué à domicile pour la somme de 5 francs par année. Les deux frères sont installés dans un modeste atelier de la rue de Buttes 1, à Fleurier.

  • 1887

    Deux parutions par semaine

    Louis Montandon apportera une belle impulsion au titre vallonnier. L’hebdomadaire agrandit son format à trois reprises et le fait paraître deux fois par semaine dès 1887. À cette époque, c’est déjà pas mal. Il faut travailler 11 heures par jour, plus dix heures le samedi, pour suivre la cadence imposée par les conditions d’impression de ce siècle. Le journal était entièrement composé à la main, lettre après lettre, avec des caractères mobiles qu’on allait piocher dans une « casse » correspondante. Cette tâche demandait évidemment un temps fou et une patience considérable. Une fois composées, les pages étaient placées deux par deux sur une vieille presse à bras pour être encrées manuellement. Pour faciliter l’impression, ces feuilles étaient trempées préalablement dans la fontaine de la Place-d’Armes par paquets de cinquante.

    Ensuite, chaque feuille était épinglée une à une sur un plateau basculant. Une manivelle permettait de procéder à l’impression. L’opération se répétait ainsi pour chaque page du journal. En fin de compte, il fallait dix heures pour imprimer un cahier de 4 pages en 600 exemplaires. Heureusement, l’entreprise a régulièrement investi dans du nouveau matériel pour gagner en efficacité et en rapidité. En 1923, l’acquisition d’une linotype et d’une machine permettant d’imprimer quatre pages en même temps augmentent considérablement le rythme. Vingt-quatre ans plus tard, l’achat d’une rotative Duplex apporte un vent nouveau à l’équipage. Les 6000 exemplaires de huit pages sont prêts en deux heures, pliage compris. Cette machine a fonctionné jusqu’en 2002. Aujourd’hui, c’est avec une imprimante offset de marque Heidelberg Speedmaster que le Courrier tourne !

  • dès 1905

    La période des trois frères : Georges, Paul et Ernest

    Avant d’en arriver à ces progrès technologiques, ce sont les forces humaines qui ont évolué. Trois des neuf enfants de Louis Montandon sont entrés dans l’entreprise. Devant l’essor réjouissant du Courrier, Georges (1862), Paul (1873) et Ernest (1878) annoncent le passage à trois parutions par semaine le 7 février 1905. Une année plus tôt, le « père Louis » était décédé sans pouvoir vivre le 50e anniversaire du journal. « Le temps marche et il est plus sage de marcher avec lui », avaient écrit les trois frères pour expliquer leur décision. Avec les 3 parutions par semaine, le contenu rédactionnel s’est passablement développé. Les nouvelles régionales, cantonales et suisses se bousculaient dans les colonnes vallonnières.

    L’essor est tel que les vétustes locaux de la rue de Buttes sont devenus insuffisants et il a fallu songer à déménager. C’est donc en 1908 que les frères Montandon ont décidé de s’installer au numéro 15, de la rue de la Place-d’Armes de Fleurier. C’est toujours là, sous la protection du Chapeau de Napoléon, que le Courrier du Val-de-Travers hebdo et que l’imprimerie Montandon font vivre l’actualité du Vallon. L’insubmersible vaisseau amiral a été agrandi entre-temps. Paul Montandon est le dernier commandant des trois frères à avoir survécu au temps qui passe. Il est désormais secondé par la troisième génération : Maurice (1919) et André (1923).

  • 1944

    … et le Courrier devient un quotidien !

    Cette nouvelle génération a des envies de grandeur et l’idée de passer en média quotidien fait son chemin. La crise de 1930 et la Deuxième Guerre mondiale freinent temporairement cet élan mais pas pour longtemps. En juin 1944, le Conseil fédéral autorise le Courrier à être publié six fois dans la semaine. Le « premier » numéro du quotidien sort le 14 août 1944. Cette évolution est accueillie avec grand intérêt par la population, toujours très solidaire derrière son journal. Pour faire face aux nouvelles exigences, une annexe est construite au sud du bâtiment afin de pouvoir compléter et moderniser le parc des machines.

    Imprimé au Vallon, pour le Vallon ! Le Courrier est plus que jamais relié à son environnement. À cette époque, c’est Gaston Rub qui dynamise la rédaction avec des articles fouillés et originaux. Son talent participe activement à la popularité du Courrier. L’arrivée de Claude Montandon (1951) va aussi apporter une énorme plus-value à l’entreprise. Si vous suivez bien, Claude est la… 4e génération de Montandon à monter à bord pour vivre cette folle aventure familiale. Il ne sera pourtant pas aidé par les temps qui courent. La radio et la télévision bouleversent le paysage de la presse suisse qui doit se résoudre à évoluer rapidement pour amortir le choc.

  • 1965

    Sur un rythme de 5 parutions par semaine !

    Face à ce bouleversement, les journaux se regroupent pour être plus forts. Les petits tendent à disparaître ou à être avalés par les plus grands. Le Courrier accuse le coup en deux temps. Il passe d’abord à cinq parutions en 1965 en jumelant les numéros du vendredi et du samedi. Puis, il redevient un hebdomadaire à partir de 1968. Le Courrier du Val-de-Travers hebdo est donc (re)né ! Il est distribué dans tous les ménages du district ainsi qu’aux Vallonniers émigrés qui tenaient à garder ce lien avec leurs racines. Ah oui, et vous vous demandez sans doute depuis quand les porteurs livrent le Courrier dans les boîtes aux lettres ?

    Eh bien cela remonte à 1923. Nous fêterons donc les 100 ans de cette tradition en 2023. En 1973, Claude reprend seul la direction des affaires. Son papa Maurice décède le 9 novembre 1979 après avoir vogué pendant 54 ans de sa vie pour le bien de l’entreprise familiale. Avant lui, Claude se souvient aussi de son grand-père, Paul. Il a travaillé durant 66 ans dans l’atelier de typo. Jusqu’à son dernier jour, c’est lui qui ouvrait chaque matin la porte du personnel, à 6 h 30.

  • 1979

    Ancré dans l’âme profonde du Val-de-Travers

    « Qu’adviendrait-il de la vie sociale, culturelle et sportive si la possibilité d’annoncer n’existait pas ? » Pas grand-chose ! « C’est pourquoi, un journal comme le Courrier du Val-de-Travers hebdo est nécessaire à une communauté régionale et l’une des clefs de son succès. »  Ces mots sont ceux de l’ancien président du Conseil d’État Rémy Schlaeppi au 125e anniversaire du Courrier. Ils résument bien ce qui fait notamment le succès du journal du Vallon depuis 1854 : il rassemble !

    Il poursuit : « Il tient aussi à la ténacité et à la volonté de la famille Montandon qui a su opérer la reconversion qui s’imposait lorsque la survie du journal en dépendait. » Depuis cinq générations, les Montandon ont tenu fermement le gouvernail pour garder à flot celui qui s’est peu à peu transformé en porte-voix de toute une région. Le courrier a évolué et il s’est adapté mais il a toujours conservé son esprit vallonnier. Parfois frondeur, toujours pertinent et résolument indépendant. « C’est ce qui explique pourquoi il s’est ancré dans l’âme profonde de cette région. Le Val-de-Travers y est d’autant plus attaché que le Courrier permet d’exprimer sa voix dans un journal sensible à ses problèmes et dévoué à sa cause », termine l’ancien président du conseil d’État.

  • dès 1980

    Visage féminin pour la 5e génération

    Claude Montandon a quant à lui laissé des souvenirs aux générations suivantes et notamment à sa fille Isabelle ainsi qu’à son beau-fils Duilio Rota. La cinquième génération présente donc un visage féminin pour la première fois. Le couple a intégré l’entreprise dans les années 1980 avant d’en prendre les commandes en 2001. Claude Montandon est décédé en 2007 dans sa 80e année.

    Souvent la « pipe au bec », Claude Montandon était un capitaine « ad hoc », et non Haddock, destiné à naviguer vers le succès. Le gouvernail est désormais entre les mains de Duilio et Isabelle. L’odeur de pipe a laissé place à celle de cigarette mais l’humour, la rigueur et la passion sont toujours là.  La foi, le dépassement de soi et le courage imprègnent encore les murs du bateau amiral. L’équipage a encore changé mais il est fidèle au poste pour affronter de nouvelles vagues, de nouveaux défis, et pourquoi pas, de nouvelles tempêtes. Rien ne peut délier ce lien invisible qui unit chaque Vallonnier et chaque Vallonnière avec « son » Courrier

  • 2001

    Les années 2000 : place au couple Duilio et Isabelle

    La porte de l’entreprise, c’est désormais Duilio Rota qui l’ouvre à ses employés. Présent aux aurores dans les murs du fameux bâtiment de la Place-d’Armes 15, il passe du bureau aux machines dans une danse discontinue au fil de la journée. Il est tantôt au téléphone, tantôt à la cave pour remonter une pile de papier et tantôt en rédaction pour faire le point sur le Courrier en cours. Il n’y a guère que lorsqu’il doit aller ramasser quelques champignons dans ses coins bien gardés qu’il accepte de lever le pied pour mieux ouvrir les yeux. Isabelle Rota-Montandon est d’apparence plus posée. Mais elle abat aussi un grand travail de l’ombre pour que le « vaisseau d’informations » du Val-de-Travers file droit. Ainsi, sont livrés chaque semaine près de 7500 exemplaires du Courrier au Vallon et en dehors de la région.

    Pour chaque numéro, un millier de journaux quittent nos frontières régionales pour atteindre le reste du pays et bien plus loin parfois. France, Canada, Espagne, États-Unis font partie des destinations où le Courrier trouve un pied-à-terre. Même expatrié, un Vallonnier ne coupe pas ce lien invisible qui le lie au Courrier du Val-de-Travers. Si le Courrier parcourt déjà le monde depuis des années, le nouvel équipage va offrir encore une plus grande ouverture sur le monde et de nouvelles possibilités de prendre le large à ses informations. Sous la bienveillance du couple Duilio et Isabelle, leur fille Carole (entrée dans l’entreprise en 2007) et l’équipe en place ont mis le cap sur la digitalisation. La 6e génération s’attaque donc à la « mer numérique ».

  • Aujourd’hui

    La 6e génération prend le « confluant du numérique »

    En 2020, le Courrier du Val-de-Travers hebdo décide de développer intensivement sa présence sur les réseaux sociaux. Carole Gyseler ouvre le premier compte Facebook qui est ensuite alimenté par Karbonic et son réseau d’abonnés. Petit à petit, la population acquiert un autre réflexe que celui d’attendre le Courrier papier du jeudi. Fin 2022, la communauté d’abonnés aux comptes Facebook et Instagram du Courrier atteint plus de 4000 « Courrieristes » Un bel équipage numérique ! Toujours dans cette nouvelle dynamique, grâce au soutien actif de Karbonic qui crée et alimente le site des parutions hebdomadaire durant 3 ans, il est décidé de créer un site internet. Si l’arrivée de la radio et d’internet avait conduit le journal à paraître uniquement une seule fois par semaine, le numérique rapproche donc le Courrier de ses lecteurs en 2023.

    Depuis début 2023, le Courrier est présent tous les jours au côté des Vallonniers afin de faire vivre l’actualité au quotidien. Un suivi live (live-Val) 7  jours sur 7 et 24 heures sur 24 est créé. Encore une fois, 168 ans après sa création, le journal a su faire des choix forts pour s’adapter et répondre à l’évolution des besoins en termes d’information. Qu’il croque le Vallon sur du papier ou sur des écrans, le Courrier continue de placer sa région au cœur de son travail. Un travail unanimement apprécié et salué par la population. Car si toute l’actualité passe par la porte du Courrier depuis 1854 et si l’équipage est à son poste depuis tout ce temps, c’est pour porter la voix de toute une région. Voilà la raison d’être du Courrier et voilà ce qui le rend toujours aussi populaire, bientôt 170 ans après avoir hissé la grand voile ! Le Courrier grandit pour vous ! Claude avait donc raison : le voyage continue ! Il n’avait probablement juste pas imaginé que le Courrier se jetterait un jour dans le « confluant du numérique ». Toujours en se tenant fermement dans l’océan des médias et de la vie vallonnière.

    Kevin Vaucher