Invasion russe en Ukraine et guerre de la communication
« Pour les Ukrainiens, le mot liberté représente la vie ! »
Ukrainienne d’origine, habitante de Fleurier, Yuliya Page a souhaité s’exprimer dans nos colonnes : « Depuis toujours, le peuple ukrainien a lutté pour gagner sa liberté car toujours contraint de se défendre pour demeurer libre ! Un véritable souffle de vie… ». Cette phrase, Yuliya Page la lance avec passion et rage à la fois. Cependant, c’est rapidement la raison qui l’emporte avec cette forte envie d’expliquer ce que vit l’Ukraine aujourd’hui ! Ce que vit l’Ukraine depuis plusieurs années…
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la guerre de l’information s’est encore accentuée. Raison pour laquelle, Yuliya Page a désiré prendre la parole.
Pourtant, je suis bien consciente du fait que c’est bien mon parcours de vie qui m’amène à penser ainsi ! Ces jours, les avis que je récolte auprès de mes parents qui vivent dans le Donbass, zone occupée depuis longtemps, me confortent dans ma certitude que tout cela germait dans l’esprit de V. Poutine depuis de nombreuses années !
Yuliya Page naît et grandit à Donetsk
Yuliya Page naît à Donetsk en 1980. La région du Donbass, sud-est de l’Ukraine, région du charbon ! Elle y vivra jusqu’en 2000, date à laquelle elle rejoint la Suisse.
Jusqu’en 2014, lorsque les Russes ont commencé l’invasion, je suis toujours retournée là-bas !
Yuliya relève qu’elle n’a jamais entendu personne revendiquant le rattachement à la Russie durant cette période :
Mais entourés de soldats russes, plus personne ne dit ce qu’il pense !
Et d’ajouter :
Ce qu’il se passe aujourd’hui n’est que la suite « logique » de la pensée de Poutine, avec le feu vert de l’OTAN lorsqu’elle déclare le 19 février 2022, quand le Kremlin continuait de nier toute intention d’attaquer son voisin, que leurs forces ne seraient pas déployées en Ukraine. L’offensive Russe démarre au petit matin du 24 février, sans doute par hasard
Un brin d’histoire
Il faut revenir à la Révolution rouge de 1917 pour comprendre ce qu’il se passe aujourd’hui. L’Empire Russe est destitué, l’Ukraine proclame son indépendance. En janvier 1918, offensive bolchevique, à Kiev 500 étudiants tentent d’arrêter 6000 soldats de l’Armée Rouge. Adhésion de l’Ukraine à l’Union Soviétique, contre sa volonté, famine artificielle en 1932-1933 avec environ 5 millions de morts, depuis lors, les Russes ont imposé la langue russe, supprimant l’accès aux études en langue ukrainienne. Grand saut jusqu’en 1991, chute du mur et éclatement de l’URSS. L’Ukraine est libre – « ou croit l’être ! », ajoute Yuliya. Depuis 1991, on cultive la démocratie. Les présidents changent mais ils représentent la volonté du peuple. Jusqu’en novembre 2013, avec un président Ianoukovitch qui promet à son pays de rejoindre l’Union européenne mais qui refuse de signer un accord d’association avec l’Union européenne contre toutes attentes. Il souhaite donc conserver des liens très étroits avec le pouvoir russe. Les jeunes ukrainiens s’y opposent, c’est la révolution de Maidan, la Marche du million, les exactions de la police présidentielle – les Berkout… Rien n’arrête le président qui signe des accords commerciaux concernant le gaz notamment en décembre 2013. Seule intervention européenne, la représentante de l’UE se rend à Kiev et lance « Il faut écouter le peuple ! ». La situation empire, le Parlement ukrainien vote de nouvelles lois interdisant les manifestations, sans que cela n’arrête le peuple. Le 22 février 2014, sous la pression des manifestants, Ianoukovitch fuit le pays en direction de la Russie. Il sera destitué le jour de son départ et remplacé par Oleksandr Tourchynov, président par intérim. Le 24 février 2014, les soldats russes débarquent en Crimée, l’annexion de la Crimée suit dans les prochains jours. Déstabilisation de la situation au Donbass, avec également l’arrivée des soldats russes. Malgré ces faits la situation se stabilise en Ukraine et le 25 mai 2014 c’est l’élection démocratique de Petro Porochenko, l’homme qui a soutenu la Révolution de Maidan et qui tentera de mettre fin à la guerre au Donbass, en se rapprochant des États occidentaux. Ce président jusqu’en 2019 – date de l’élection de V. Zelensky –, s’exprime ainsi aujourd’hui :
Poutine est faible quand nous sommes unis ! Merci au soutien occidental croissant au moment où l’Ukraine a besoin de cet aide ! Nous protégeons la liberté en Europe…
La vision de Yuliya
C’est véritablement l’horreur de voir ce qui se passe aujourd’hui ! Un terrible chagrin…
Selon Yuliya Page, l’invasion russe a commencé dès 2014 et s’est concrétisée il y a peu avec l’annonce de l’indépendance des deux républiques concernées. Une confusion qu’elle veut corriger encore :
Être russophone signifie pratiquer la langue russe, à ne pas confondre avec une sympathie particulière pour la Russie ! Les Ukrainiens aiment les Russes sans aucun doute. La réciproque n’est pas de mise, les Russes qui viennent chez nous avec les armes, n’aiment pas les Ukrainiens. Ces derniers jours de guerre avec la Russie démontrent bien l’unité du peuple ukrainien, peu importe quelle langue domine dans la région, ukrainienne ou russe. Entre les peuples ukrainiens et russes, il n’y a pas autant d’acrimonie que l’on veut bien dire parfois ! Aux intimidations russes, les Ukrainiens n’ont jamais répondu !
À l’évidence, ce sont les intérêts financiers et commerciaux qui prévalent :
La Russie a toujours exercé un chantage sur l’Ukraine avec le gaz ! Si on est gentil avec la Russie, on a chaud, sinon le chauffage ne fonctionne plus ! Cela donnait déjà le ton de ce qui se passe aujourd’hui…
Le silence de l’Europe
Et Yuliya Page d’ajouter encore :
Depuis 2014, je suis un peu déçue de l’attitude de l’Europe qui est demeurée sans réaction à l’invasion de la Crimée ! J’ai d’ailleurs été surprise en 2018, lors de l’Eurofoot, à l’occasion d’une émission télévisée de la RTS de voir une carte de la Russie comprenant la Crimée. Je suis intervenue auprès de la direction qui l’a immédiatement corrigée, car la Suisse n’a jamais reconnu la Crimée ! Vraiment, les sanctions auraient dû être prises bien avant !
Le courage et l’énergie, les deux carburants du peuple ukrainien !
Avant le début du conflit, j’étais très angoissée dans l’attente de savoir ce que le gouvernement de Poutine serait capable de décider. Aujourd’hui, c’est en téléphonant à mes parents, à mes amis restés là-bas que je retrouve de l’énergie !
Propos recueillis par Claude-Alain Kleiner