44 ans de train-train quotidien
Il y a quelques jours, un événement exceptionnel par sa gravité a eu lieu à quelques kilomètres du Val-de-Travers : une prise d’otages dans un train reliant Yverdon à Sainte-Croix. L’occasion faisant le larron, nous nous sommes intéressés un peu plus à l’histoire du train ou plutôt aux nombreuses histoires autour des trains, vécues dans la région. Et les anecdotes ne manquent pas, comme le prouvent les 44 ans de carrière ferroviaire d’un Vallonnier.
Contrairement à l’affaire de la prise d’otages, ces anecdotes-là ne sont jamais sorties dans la presse. Elles reposent sur la longue carrière ferroviaire du Fleurisan Jimmy Montandon. Responsable de la circulation, conduite, vente voyageur, contrôlant en douane ou encore responsable de sécurité sur les chantiers ferroviaires, il en a vu des choses se passer sur les rails entre 1978 et 2022. « Et dire que je ne me prédestinais pas du tout à cette voie », rigole l’intéressé.
15’000 watts dans les pneus
L’homme aujourd’hui à la retraite a profité de la vacance d’un poste de commis de gare au RVT pour glisser un pied dans ce monde. « D’un stage de trois jours, j’en suis arrivé à 44 ans de carrière au RVT ainsi qu’aux CFF. » En regardant en arrière, Jimmy Montandon se souvient spontanément de ce jour de 1980 où une entreprise de chargement de bois a vu sa pince toucher la ligne de contact d’une puissance de 15’000 watts. « Les pneus du camion ont littéralement explosé et fondu sur le quai. » Dans le même lieu, et à la même période, les 300 tonnes d’un train de 2 rames sont arrivées beaucoup trop vite en gare et se sont écrasées dans le butoir de fin de ligne, retroussant la route d’un mètre.
Moutons vaccinés à la sarbacane
Quand ce n’était pas le train en lui-même qui marquait les esprits, c’est son contenu qui apportait son lot d’ébahissements. Dans les années 1980, un wagon d’une cinquantaine de moutons, venus pour se faire vacciner depuis le quai, débarque ainsi au Val-de-Travers. « Sitôt qu’une bête sortait la tête du wagon, un vétérinaire lui glissait une pilule dans la bouche et lui soufflait dans le gosier avec une sarbacane pour la lui faire avaler. »
Une autre fois, ce sont des caisses de pigeons voyageurs qui entraient en gare vallonnière. « L’armée suisse nous demandait de les lâcher tous ensemble puis de chronométrer en combien de temps ils parvenaient à se regrouper. Nous notions ensuite dans quelle direction ils s’envolaient. »
Les pigeons déserteurs
La plupart prenaient le vent vers Bâle. « Les observateurs de la scène n’hésitaient pas à traiter de déserteurs ceux qui filaient vers la frontière française », se marre le cheminot. Il se rappelle aussi avec bonheur des quelques bouteilles de Mauler que ne manquait jamais d’offrir la « maison môtisanne » aux ouvriers ferroviaires ayant participé à l’envoi des palettes du vin mousseux, à travers toute la Suisse, pendant les fêtes de fin d’année. C’est une autre forme de liquide qui l’a marqué à partir de 1979 lorsqu’un dépôt d’hydrocarbures a été créé à Saint-Sulpice. « Sa capacité maximale était de 22 millions de litres. Nous recevions chaque semaine 5 à 6 citernes de 50’000 litres chacune pour remplir l’énorme cuve. »
Frôlé par des trains circulant à 140 km/h
Durant ses dix dernières années de carrière aux chemins de fer, Jimmy Montandon s’est épanoui dans le rôle de responsable sécurité sur les chantiers CFF. « Le but était que les ouvriers puissent travailler sur les rails en toute harmonie avec des trains qui continuent de circuler à des vitesses de 140 km/h. Deux sentinelles, placées à 800 mètres de chaque côté du chantier, veillaient à annoncer tous les passages de trains. Il n’y a pas de touche ‹ retour ›, il y avait des morts si nous faisions une erreur. » Heureusement, cela restait et reste encore très rare. La plupart des décès recensés sur les voies sont dus à des suicides (environ 80%). Il y en a 115 par année en moyenne dans notre pays. Un « train-train macabre » dont se passeraient volontiers les conducteurs ferroviaires…
Kevin Vaucher