ARTisans du succès 4 / 5
L’art et la matière
L’édition 2021 de Môtiers Art en plein air s’étend du 20 juin au 20 septembre. La cinquantaine d’œuvres exposées sont issues de l’imaginaire des artistes. Mais leur réalisation et leur mise en valeur demandent un savoir-faire que seuls des professionnels peuvent assumer. Une bonne dizaine d’artisans ont été sollicités et se sont engagés auprès des artistes cette année encore. Nous vous les présentons dans cette série spéciale. Ce quatrième numéro brosse le portrait de piliers sans qui tout serait un peu plus compliqué.
Nul besoin de préciser que je ne cherche pas à hiérarchiser les intervenants par un niveau d’importance quelconque. Je parle des « indispensables » car tant Valentin Bezzola que le couple Marceline et Roland Keller occupent une place centrale sur l’échiquier Môtiers Art en plein air. Le premier est un Môtisan pur et dur de trente ans. C’est non seulement le présent mais l’avenir. Patron d’une entreprise de construction au sens large depuis 2011, il dirige quotidiennement une quinzaine d’employés, son savoir-faire est aussi précieux que le sont ses machines de chantier pour installer les différentes œuvres à des emplacements pas toujours très communs. Les seconds sont à la tête de la scierie des Bayards. Rodés, efficaces et rapides, ils répondent à toutes les demandes en bois des artistes. Année après année, ils ont constitué un solide noyau de clients allant jusqu’au Jura. J’avais dit indispensables mais ne seraient-ils pas incontournables aussi ?
En 2015, quatorze tonnes à soulever
Pour Valentin Bezzola, l’exposition en pleine nature de Môtiers représente beaucoup de choses. Ça se passe là où il a toujours vécu, son papa Thierry est membre du comité et il a commencé à s’y investir en donnant « un coup de main à la buvette. » Il le fait d’ailleurs toujours tous les samedis avec sa bande de copains fidèles. Depuis qu’il a sa propre boîte, c’est aussi lui qui est appelé à la rescousse sur le terrain.
Il faut creuser, il faut un socle en béton, il faut aller récupérer des gravats, il faut lever, déplacer ou installer une pièce… je suis là. Bref, je rends service pour tout ce qui est de mon domaine.
Et il intervient autant en amont de l’événement que lorsque celui-ci est terminé, pour rendre ses pleins droits à la nature. Retirer les éléments scellés et bétonnés est un bon exemple de mission à remplir. Pelleteuse, manitou et remorque sont donc leurs meilleures armes. Si les Corses connaissent tous les chemins de leur île, on peut dire par extension qu’aucun recoin de Môtiers n’est inaccessible à Valentin Bezzola.
Ces machines vont partout, même dans des endroits très difficiles d’accès. Ça va tout seul avec un peu de débrouillardise et plus la demande est originale, plus le défi est intéressant à relever. Cette année, rien n’a été vraiment problématique à faire.
En 2015, l’œuvre de « la maison retournée » a été autrement plus casse-tête à accomplir.
On avait dû creuser à même le terrain une forme de maison avec quatre faces et le toit puis on avait projeté du béton pour remplir cette forme. Il avait fallu ensuite creuser autour de cette masse en béton de quatorze tonnes pour pouvoir la retourner avec une autogrue et un tracteur de débardage. Celle-là par contre on ne l’a pas retirée,
rigole-t-il. Elle est vers la cascade de Môtiers pour ceux que ça intéresse.
Elle ne dérange pas, certains croient même que c’est un bout de roche qui s’est décroché.
Ainsi, édition après édition, quelques vestiges de l’exposition demeurent et permettent notamment aux plus jeunes de s’en imprégner. Déjà très curieux sur le sujet, ce n’est pas le fils de quatre ans de l’artisan môtisan qui fera mentir la tradition.
« Aux créateurs de créer ! »
Et à en croire la popularité de la scierie des Bayards dans l’environnement de Môtiers Art en plein air, ce n’est pas Marceline et Roland Keller qui la contrediront non plus. à chaque fois qu’un artisan évoque la bonne collaboration entre les forces de la région, la scierie des Bayards revient toujours dans le lot. Alors, votre scierie est au cœur de tout comme ça ?
C’est flatteur et c’est vrai que je fournis volontiers le bois qu’ils me demandent. On parle d’environ trente mètres cubes par édition. Ça nous demande un peu de temps mais l’investissement est très acceptable.
Par comparaison, la scierie s’occupe de 4000 mètres cubes à l’année au total. C’est au moins la troisième exposition pour laquelle le couple a accepté de collaborer sur recommandation du garde forestier Claude-André Montandon. D’autres personnes auraient très bien pu faire la même recommandation car la scierie des Bayards a bonne réputation loin à la ronde.
On travaille dans tout le canton et sur une partie du Jura.
Leur carnet de commandes est chargé mais ils trouvent toujours une façon de combler le plus grand nombre. Si la volonté de certaines communes était d’intensifier leur demande, il y a donc fort à parier qu’ils répondraient présent. Et chez eux, chaque client a droit au même traitement. Un particulier est venu chercher quelques planches durant cette entrevue et il a été servi tout sourire au pied levé.
On essaie de répondre aux demandes de notre mieux. Après, notre travail se limite à la production du bois brut la plupart du temps. Aux créateurs de créer par la suite ! Parfois, il faut quand même le transformer comme pour réaliser le bain public de Markus Weiss. Il a fallu débiter quelques pièces en biais.
L’équipe de cinq personnes de la scierie travaille exclusivement avec du bois régional et c’est ce qui lui a permis de moins souffrir que d’autres durant la crise sanitaire. C’est surtout les importations qui ont drastiquement diminué.
On a aussi eu des périodes moins bonnes que d’autres mais on a tenu le choc.
Pour le plus grand bonheur des habitants des Bayards dont une partie est chauffée avec les déchets de bois en chauffage à distance. Indispensables !
Kevin Vaucher