Paul Lüscher, peintre malgré lui ?
« Le médecin malgré lui » de Molière se moquait gentiment des croyances autour de la médecine. Le peintre malgré lui qu’était plausiblement Paul Lüscher est au contraire l’histoire d’un énorme cri d’amour. Un élan irrépressible pour la peinture et particulièrement les peintres hollandais du 17e siècle. à leur différence, l’ancien administrateur communal n’a jamais décidé d’exposer ses œuvres. Aujourd’hui, le voile se lève enfin sur celles-ci pour la bonne cause !
Lorsque je dis malgré lui, ce n’est pas pour laisser supposer qu’il n’aimait pas ça. Loin de là , c’était même une passion qui ne le quittait jamais très longtemps. La peinture, il en était comme imprégné. Retranché dans son atelier, Paul Lüscher planchait invariablement sur la technique du clair obscur pour se rapprocher des peintres qu’il estimait : Rembrandt, Vermeer, Hals et quelques autres. Imaginez-le, lui, le fils d’un père horloger et d’une mère femme au foyer, doté de la précision de l’un et du sens de l’effort de l’autre. Il progressait à pas de géant. Oui, Paul Lüscher était un besogneux.
En perpétuel mouvement
Encore et toujours, il faisait voltiger les pinceaux pour améliorer son coup de brosse. Il a parfois pris les vents jusqu’à Amsterdam ou Paris pour visiter des musées et s’inspirer encore mieux de ces peintres qu’il aimait tant. Qui mieux que lui pouvait quantifier la masse de travail nécessaire et la quantité de couleurs étalée avant qu’un homme comme Rembrandt soit enfin reconnu pour son art ? Dans sa quête de justesse et de perfection pour ses propres œuvres, s’imaginait-il un jour être reconnu lui aussi ? Assurément pas, il peignait pour son plaisir. Sa famille et ses amis ont bien essayé de l’inciter à exposer mais il a toujours refusé. Quand bien même il avait du talent, de l’aveu même de la plasticienne du Vallon Anouk Landry qui a eu accès à ses peintures et qui en parle ainsi :
Pur autodidacte, Paul Lüscher émeut par la justesse bluffante de son savoir et par le résultat de ses œuvres. Un artistes qui ne montre pas mais qui peint juste parce qu’il aime tant certains de ses pairs. Un jour, il a décidé de peindre sa propre collection comme on bâtit une passion.
Alors pourquoi ne pas l’avoir montrée ? Par modestie ! Oui, Paul Lüscher était un modeste !
Des mains de virtuose
Plus jeune pourtant, il aurait aimé se destiner à une carrière artistique. La musique et la peinture l’attiraient et résonnaient en lui comme un bon éclat de « jazz New Orleans » dont il était particulièrement friand. Plus tard, il ne s’est d’ailleurs pas caché pour ce qui est de la musique. Il a ainsi pu faire étalage de toute sa dextérité derrière son piano. Il passait une partie de son temps libre à la salle Fleurisia pour accompagner différents spectacles et élaborer certains décors. Il a aussi créé de nombreux arrangements musicaux pour la Petite Rincette. Ben oui la Petite Rincette quoi ! Ça ne vous revient pas ? Allez je vous aide. D’abord situé sous le toit du cinéma Casino de Fleurier, le cabaret du Vallon avait ensuite migré dans la cave voûtée de Lili Amann. Oui, Paul Lüscher était un homme de scène. C’était un pianiste !
Passion réfrénée par les réalités de l’époque
Diable ! J’insiste mais au vu de son succès en tant que pianiste, pour quelle raison cet homme de scène n’a-t-il jamais franchi le pas pour ce qui est de la peinture ? était-il encore marqué par ce qu’il a vécu plus jeune ? Né en 1918, cet enfant de Fleurier a vite été confronté aux réalités de la vie de l’époque à la campagne. Un autre temps où on ne prenait pas de cours de musique ou de peinture car considérés comme inutiles et sans avenir. Un autre temps vraiment ? Une certitude en tout cas, ses velléités artistiques ont vite été freinées et réfrénées. De là , est-il né un blocage ? Que diable serait-il allé faire dans cette galère ? Les galères, lui, il essayait de les éviter aux autres en s’engageant éperdument dans la vie locale.
Tour à tour membre fondateur du CP Fleurier, membre de l’orchestre symphonique de l’Union ou encore directeur du chœur d’hommes La Concorde, Paul Lüscher avait une vie tout sauf monochromique. Oui, Paul Lüscher était un homme aux multiples facettes.
Voir au-delà d’un peintre qui n’expose pas !
C’était aussi un homme de responsabilités et un homme qui a su être patient pour se hisser là où il s’est élevé professionnellement. Car oui, résumer la vie de Paul Lüscher à celle d’un peintre qui n’a jamais exposé serait une faute énorme. C’est via un apprentissage d’employé de bureau à l’UBS du village qu’il est entré dans la vie active.
Une fois son diplôme validé, il s’est engagé à la fabrique de pâte à bois de Saint-Sulpice en 1937.
Pour parfaire sa formation, il est aussi passé par l’Universo de Fleurier. Il a même « charbonné » au côté de son papa dans l’horlogerie. Puis est venu un gros chapitre de sa vie : l’administration. Oui, Paul Lüscher était aussi un homme d’état.
Une exposition-vente pour une noble cause
Il est d’abord entré à la Commune pour s’occuper des cartes de rationnement durant la Deuxième Guerre mondiale. Puis il a été définitivement engagé en 1946 avant de devenir officier d’état civil et préposé à la police des habitants en 1950. Pour se former, c’est comme pour faire un bon tableau, il faut du temps. Il est donc passé par tous les services jusqu’à être finalement nommé administrateur communal en 1963. Cette fonction, il l’a assumée durant vingt ans avec conviction avant de prendre une retraite active. Sa toile de vie s’est terminée dans sa 92e année. Nous étions alors en 2009. Douze ans plus tard, sa fille Evelyne – appuyée par son mari Fred Siegenthaler et leur fille Manon – a décidé de lever enfin le voile sur les nombreux tableaux de Paul Lüscher. Ces pièces jamais montrées seront exposées et proposées à la vente à la Pension Beauregard de Fleurier depuis aujourd’hui jeudi au dimanche 24 octobre. Les bénéfices seront reversés à une association aidant les aveugles et les malvoyants. Le vernissage a lieu aujourd’hui à 17 h 30. Alors oui, grâce à sa famille et en plus de tout ce qu’il a été, Paul Lüscher sera désormais aussi un peintre qui a été exposé !
Kevin Vaucher