L’homme à qui on raconte des histoires
Michel Zürcher est un marcheur ! Il présente six « 1er mars » au tableau de bord. Lʼhomme de 80 ans est aussi un parleur, il a vécu quelques événements quʼil apprécie partager. Mais le Neuchâtelois est avant tout un homme qui écoute et cʼest ce qui en fait un compagnon de route apprécié sur le chemin de Neuchâtel. Des histoires, il en a écouté des dizaines, peut-être même des centaines durant les longues heures de marche quʼil a cumulées au fil des ans. Il en est aujourdʼhui certain, la marche délie les langues.
Lorsque je demande à Michel Zürcher pourquoi il participe à la Marche du 1er mars, il ne me parle pas instinctivement de challenge personnel, de défi face au temps ou dʼélan patriotique. Sa première réponse est tout autre :
Ce sont les rencontres qui sont belles et cʼest ce qui me plaît. Jʼaime écouter les gens. On a un esprit beaucoup plus ouvert quand on marche et on peut sʼen dire des choses, parfois même très personnelles, je vous le dis.
Et il faut croire que ça en devient addictif puisque « lʼhomme à qui on aime raconter des histoires » a fait toutes les marches depuis quʼil y a participé pour la première fois en 2015.
Parler des heures avec des inconnus
On peut discuter une heure avec quelquʼun quʼon ne connaît ni dʼève ni dʼAdam et quʼon aurait vraisemblablement jamais rencontré ailleurs. Parler en marchant pousse à une certaine liberté de parole, je lʼai immédiatement constaté.
En regard de ces faits, peut-être devrait-on rendre la justice dans des tribunaux itinérants. Mais cʼest une autre histoire et ce nʼest pas le sujet du jour. Sur la « route des révolutionnaires », cʼest même lʼinverse qui est de rigueur : aucun jugement de lʼautre nʼest de mise !
On nʼest pas là pour commencer à se prendre la tête, non ! On sʼattarde plutôt sur ce que lʼon a vécu de commun. Moi, je ne me rappelle pas forcément de ce que je dis mais jʼévoque souvent mon passé professionnel qui a eu une fin un peu chaotique. Il faut avoir de la résilience dans la vie et cʼest souvent ce à quoi je peux me rattacher aux autres.
Justement, cʼest par une… histoire tout à fait étonnante que je suis arrivé jusquʼà « lʼhomme à qui on raconte des histoires ». Michel Zürcher raconte :
En 2015, je me suis retrouvé côte à côte avec une petite femme toute menue. On a engagé la conversation et elle me parle de ses problèmes de santé. Je ne sais pas comment on en est arrivé à parler de ça mais elle me dit quʼelle a été transplantée dʼun rein au CHUV. Je lui demande le nom de son docteur et elle me répond « Jean-Pierre Venetz ».
Jusque-là rien dʼétonnant mais attendez la chute. « Jean-Pierre Venetz est mon beau fils ». Cette dame qui revit et qui a pu se remettre au sport le devait en partie au beau-fils de Michel Zürcher (et elle le doit surtout à son donneur, cela va de soi).
Un homme qui affiche ses convictions
Vous voyez, quand vous me demandiez ce que jʼaime dans cette manifestation, cʼest ça ! Cʼest ce genre de rencontres.
Cette dame nʼest autre que Gisèle Ceppi et nous lui consacrons un article complet dans cette édition spéciale également. Michel Zürcher quant à lui est an ancien conseiller général de La Chaux-de-Fonds. Mais pour lui, ce nʼest pas important car il se voit Neuchâtelois avant tout. Cʼest dʼailleurs avec le slogan « ni du haut, ni du bas, je suis Neuchâtelois » sur le dos quʼil sʼest affiché lors de la Marche du 1er mars en 2015. Un message qui nʼavait pas manqué de faire réagir au moment où les tensions entre le haut et le bas avaient atteint un certain degré dans une partie de la population sur les questions politiques.
On mʼavait interpellé dès le départ pour me féliciter pour ce message dʼunité. Et jʼavais ensuite régulièrement été apostrophé dans le peloton,
se souvient-il. Pour quelquʼun qui aime ouvrir lʼéchange, il avait trouvé un moyen imparable pour faire réagir les Neuchâtelois.
Un sentiment exceptionnel !
Des histoires, il en écoute, il en raconte mais il aime aussi y participer. Et cʼest celle avec un grand H dont on parle ici.
Cette marche fait bien sûr référence aux événements de 1848 mais cʼétait aussi une course militaire à la base. Je me souviens avoir vu des soldats avec un bon paquetage sur le dos sʼélancer sur le parcours.
Le départ sʼest dʼabord fait au Locle puis à La Chaux-de-Fonds. Toujours avec arrivée à Neuchâtel. En 1987, on se décida pour une boucle à partir de Colombier et il y eut jusquʼà 600 inscriptions. Cette course militaire avait été créée en 1948 pour le centenaire de la révolution neuchâteloise.
Aujourdʼhui, voir toutes ces personnes se diriger sur Neuchâtel est un sentiment exceptionnel. Je me devais dʼy prendre part à mon tour et je remercie mon voisin qui mʼa mis le pied à lʼétrier.
À la rencontre des ouvriers italiens
Si les tirs au canon figurent également parmi ses moments forts, rien ne vaut pour lui de voir les « troupes » venues de tous les coins du canton affluer sur la capitale neuchâteloise.
Il y a même des grappes de marcheurs qui arrivent depuis le vallon de Saint-Imier par les Convers. Cʼest magnifique. Et pardon on y revient, mais je ne peux pas mʼempêcher de me souvenir de toutes les découvertes humaines que jʼai pu faire.
Allez, parce que je suis sympa, développons dʼautres souvenirs vécues par Michel Zürcher.
Jʼai fait la connaissance de nombreux habitants dʼorigine italienne. Ils mʼont expliqué comment ils étaient arrivés jusquʼici pour y travailler comme saisonniers.
Un statut un peu particulier qui les obligeait à faire la navette entre la Suisse et la plantureuse botte italienne.
Ceux qui avaient le permis B pouvaient être employés neuf mois par année. Ils devaient ensuite rentrer trois mois « chez eux » avant de revenir. Cʼest quelque chose qui a marqué toute une génération.
Pour engager la discussion, le retraité a plusieurs méthodes différentes. Soit attendre que quelquʼun vienne à lui (facile), soit se porter peu à peu à la hauteur de quelquʼun et laisser faire les choses (cela demande une certaine roublardise) ou alors profiter dʼun « arrêt au stand » et lancer lʼestocade au moment des ravitaillements. Chacun est plus ou moins réceptif et il faut aussi savoir respecter ceux qui participent à la marche dans une démarche plus personnelle.
Le petit verre de rouge ou de blanc servi à lʼarrivée est aussi un moment bien choisi pour tailler une bavette car tout le monde est content dʼavoir été au bout du parcours. On ne marche plus mais on profite encore du moment.
Chef de chantier pour lʼhôpital de Couvet
Parler en marchant a une autre vertu, celle de faire défiler les kilomètres plus rapidement. Mais les quelques heures dʼexercice jusquʼà Neuchâtel restent bien insuffisantes pour retracer les 80 années de vie de Michel Zürcher et notamment sa vie professionnelle.
Ma fin de carrière sʼest faite précipitamment dans un contexte global de restructurations et de départs forcés. Je travaillais dans la construction auprès de lʼentreprise Bosquet qui était dirigée par un patron qui sʼétait fait tout seul. Il y avait jusquʼà 270 employés en pleine saison. Et pourtant cela ne lʼa pas empêchée de faire faillite à la fin des années 1990. Je me rappelle que je suis souvent intervenu au Val-de-Travers car on était partenaire de lʼentreprise Codoni. Ça reste de magnifiques souvenirs. Jʼétais chef de chantier pour lʼhôpital de Couvet et pour différentes usines qui avaient profité de conditions économiques favorables pour bâtir. Le préposé à la promotion économique du canton Karl Dobler a amené un certain nombre de nouveaux acteurs au Vallon à cette période. Cʼétaient de belles années où on avait découvert sur les chantiers la fameuse boisson vallonnière interdite.
Mais ça, cʼest une autre histoire ! Fin de la mise en bouche, place à la marche !
Kevin Vaucher