Une confiance aveugle
Cʼest lʼune des quêtes les plus universelles quʼil soit : trouver quelquʼun à qui on peut faire une confiance aveugle. Eh bien, il semblerait que le Fleurisan Alain Pointet soit lʼhomme à qui on peut faire une confiance aveugle. Ce nʼest pas moi qui le dis mais la sportive non voyante Sandrine Chauvy elle-même. Le Courrier vous a fait sa présentation le 28 avril dernier. Place cette semaine à lʼautre côté du miroir avec son premier guide. Le Vallonnier définit son rôle comme celui dʼun joystick humain ou dʼhomme invisible. Rencontre !
Depuis quʼon se connaît et quʼon a commencé nos défis sportifs ensemble en 2018, on a créé un langage commun de guidage. Chacun a ses propres trucs et astuces. Avec Sandrine Chauvy, on fonctionne par des brefs mots-clés plutôt que de longues explications sur les obstacles à franchir. En trail, ça peut être des termes comme « cailloux », « branche au sol », « escaliers » ou « chemin blanc » pour la prévenir dʼun piège ou dʼun changement de terrain. Elle me tient la main, comme si jʼétais son joystick,
décrit Alain Pointet.
« Une aveugle qui fait de la moto, jʼai trouvé ça génial »
Le Fleurisan a fait la connaissance de Sandrine grâce à une amie commune.
Elle mʼa dit quʼelle avait une copine aveugle qui faisait de la moto. Jʼai trouvé ça génial ! Et je me suis rapidement intéressé aux sensations quʼelle pouvait ressentir lorsquʼelle montait sur une bécane sans savoir dans quel sens le prochain virage allait la ballotter.
En se parlant de leur vie, Alain a abordé sa grande passion pour les trails et le virage sur leur collaboration sportive a commencé comme ça.
Elle mʼa expliqué quʼelle avait envie dʼessayer bien que je lui aie précisé que jʼadorais faire de la montée. Ça ne lʼa pas retenue, bien au contraire.
Tout sʼest rapidement mis en route : tour du canton, triathlon, trail,… Le Fleurisan, ambulancier dans la vie de tous les jours, ne connaissait rien du monde des guides mais il a tenu à apprendre quelques bases pour répondre à la demande de Sandrine.
Oreillettes et micros pour la guider à ski
Je nʼai pas suivi la formation complète car je fais uniquement le guide pour elle. Jʼai simplement fait une journée auprès du GRSA (Groupement romand de skieurs aveugles et malvoyants) pour apprendre à la guider à ski. Oui, le duo fait aussi du ski et de la peau de phoque en hiver. Ce sont des disciplines un peu particulières car je la guide grâce à des oreillettes reliées en Bluetooth. On a des petits micros pour pouvoir se parler à quelques mètres de distance.
En natation, il lui indique quʼelle arrive à deux mètres du bord via le mot « touche » pour quʼelle touche le mur du bassin et reparte dans lʼautre sens. Et en vélo, cʼest un tandem qui leur permet dʼavancer ensemble. « Cʼest moi qui conduis, évidemment », précise-t-il avec amusement. Peu importe le sport, le duo ne demande pas de passe-droit. Il arrive que quelques dérogations leur soient quand même accordées pour des questions de sécurité. Ainsi, ils sʼélanceront avec des bâtons sur Sierre-Zinal en août alors que le règlement lʼinterdit habituellement.
« Je dois regarder où je mets les pieds et où elle met les siens »
Sur des terrains typés trail comme à Sierre-Zinal, on est en mode joystick. Mais il arrive que je lui lâche la main totalement sur route large bitumée. Elle adore ça. Dans les descentes et les escaliers, elle sʼagrippe à mon sac pour suivre mes mouvements de corps.
Alain Pointet devient alors lui-même le joystick.
Vous avez tout compris. Moi je plaisante en disant que je suis son homme invisible car je nʼai pas de dossard et je nʼapparais dans aucun classement même si je fais tout avec elle. Ça ne me dérange pas du tout. Tant que jʼai encore un peu de marge sur elle et que je peux la pousser dans le rouge de temps en temps ça me va,
sourit-il. Ensemble ils ne visent aucun classement, ils désirent simplement franchir la ligne dʼarrivée.
Comme je dois regarder où je mets les pieds et où elle met les siens, cela nous demande deux à trois fois plus de temps quʼun coureur lambda pour avancer mais on y arrive à notre rythme. Jʼaime la pousser à se surpasser car jʼai une admiration pour ce quʼelle fait. Cʼest motivant de côtoyer ce genre de personnes. Et avec le temps, jʼai appris à la connaître et je sais comment elle va simplement en écoutant la façon dont elle respire et dont elle me parle. Je la connais par cœur.
Ce serait donc ça le secret de la confiance aveugle ?
Kevin Vaucher