Celui qui a payé volontairement ce qu’il ne devait pas…
Selon le CO commenté, on cite volontiers, à titre d’exemple, le cas du père, inscrit aux registres de l’état civil, qui paie l’entretien d’un enfant avant d’apprendre qu’il n’est pas le sien (ATF 129 III 646). Dernièrement, dans un arrêt du 29 mai 2024, le Tribunal fédéral (TF) a eu l’occasion d’invoquer les articles 62 et 63 CO, parmi d’autres, en examinant les faits suivants :
Dans le cadre d’une procédure en divorce amiable (jugement du 24 septembre 2013), B. s’est engagé à verser à A., qui devenait son ex-épouse, la somme de 10’000 francs par mois à titre de contribution à son entretien, dès le 31 janvier 2013 jusqu’au 31 août 2025. Le 7 février 2020, B. apprit de façon formelle, au terme d’une enquête privée qu’il avait mis en œuvre, que A. s’était remariée le 22 septembre 2018. Auparavant et jusqu’au 7 février 2020, B. avait régulièrement versé à A. la pension mensuelle de 10’000 francs.
Après des poursuites infructueuses, B. a introduit contre A. une action judiciaire en paiement d’une somme de 160’000 francs avec intérêts à 5%, soit le trop versé après le remariage de son ex-femme. Cette dernière allégua que son ex-époux avait eu connaissance de son remariage peu avant que celui-ci n’ait lieu et que B. n’avait pas continué à payer la pension par erreur mais volontairement. Par jugement rendu le 19 décembre 2022, le Tribunal de 1re instance a rejeté la demande de B.
Sur appel de l’ex-mari, la Cour de justice cantonale, dans un arrêt du 17 octobre 2023, a annulé le jugement du 19 décembre 2022 et condamné A. à payer au demandeur la somme de 160’000 francs avec intérêts à 5% l’an dès le 15 mai 2019. Dans le cadre de cette procédure, A. a produit des e-mails qu’elle aurait adressés à son ex-mari et qui, selon elle, démontraient que ce dernier était au courant de son remariage alors qu’il continuait à payer la pension. Elle fit valoir des e-mails échangés avec la mère de B. ; fut entendu également le fils des parties. Mais aucun élément ne convainquit le Tribunal cantonal que B. avait eu connaissance du remariage avant le dépôt du rapport de recherche privé qu’il avait reçu le 7 février 2020.
Par acte du 20 novembre 2023, A. a exercé un recours en matière civile auprès du TF contre l’arrêt du 17 octobre 2023. Principalement, elle a conclu à son annulation et à sa réforme en ce sens que le demandeur soit débouté de toutes ses conclusions.
Dans un arrêt du 29 mai 2024, le TF a retenu ce qui suit :
À teneur de l’art. 130 al.2 CC, sauf convention contraire, l’obligation d’entretien après le divorce s’éteint lors du remariage du créancier. La doctrine ne résout pas la question de savoir si le bénéficiaire de la rente n’aurait pas l’obligation de communiquer son remariage au débiteur.
Selon l’art. 62 al.1 CO, celui qui, sans cause légitime, s’est enrichi aux dépens d’autrui, est tenu à restitution et l’art. 63 al.1 CO dit : « Celui qui a payé volontairement ce qu’il ne devait pas ne peut le répéter s’il ne prouve qu’il a payé en croyant, par erreur, qu’il devait ce qu’il a payé. » Celui qui se prévaut de cette disposition doit prouver l’inexistence de la dette et le fait qu’il a payé par erreur. « Élucider ce qu’une personne savait ou voulait au moment d’exécuter une prestation relève de la constatation des faits ». Dans le jugement attaqué, on relève que la Cour de justice, après l’évaluation des preuves, a constaté que B. était parvenu à démontrer qu’il n’avait appris le remariage de l’ex-épouse qu’en février 2020 et que la défenderesse avait échoué dans la contre-preuve. Or, en l’espèce, l’arrêt cantonal a fait une juste application des dispositions légales et le TF a rejeté le recours de A. et mis à la charge de cette dernière les frais arrêtés à 6000 francs. Ainsi, le jugement de la Cour de justice est devenu exécutoire de sorte que A. devra bien payer à son ex-mari la somme de 160’000 francs plus les intérêts et les frais de justice relatifs aux diverses instances concernées. (ATF 5A_879/2023).
Blaise Galland, avocat