Absinthe
La légalité a renforcé la visibilité sans nuire au mythe de la fée verte
Vingt ans après la légalisation de la fée verte et sa nouvelle existence au grand jour, le Courrier du Val-de-Travers hebdo est allé évoquer l’évolution du mythique breuvage avec le président de l’interprofession de l’absinthe.
Aujourd’hui, l’absinthe s’affiche désormais librement sur les devantures des distilleries. Les panneaux d’information touristique annoncent le « Pays de l’absinthe » et jalonnent la Route de l’absinthe jusqu’en France voisine, une fleur d’absinthe est l’identité visuelle de la commue fusionnée et une maison, musée et espace de dégustation, y est dédiée à Môtiers, dans l’ancien Hôtel de district, petit pied de nez, à l’histoire.
Président de l’association de l’interprofession de l’absinthe depuis 2022, Philippe Martin observe ce développement avec un regard favorable.
« La promotion de l’absinthe est une corde en plus à l’arc du Val-de-Travers », estime le distillateur, pour qui la légalisation n’a eu un bilan que positif. « Même si, comme sur tous les sujets, tout le monde n’est pas totalement d’accord », sourit-il.
Lui a vécu les années 2004 et 2005 via l’intermédiaire de son père clandestin et opposé à la libéralisation du spiritueux des poètes. « Il aimait ce côté rebelle, de prohibition et braver cet interdit », poursuit Philippe Martin, expliquant que son père estimait que l’interdiction donnait une valeur supplémentaire au produit.
Symbole officiel du Vallon
À la tête de la distillerie familiale depuis 2014, Philippe Martin juge que la légalisation a poussé l’ensemble des producteurs à hausser la qualité des absinthes de la région. « Du Vallon, elles sont toutes très bonnes. On a gagné en qualité, en précision », développe-t-il.
Surtout, pour le président de l’interprofession, la légalisation a offert à l’absinthe une vraie visibilité. « Certes, tout le monde savait avant qu’on produisait de l’absinthe au Vallon, mais on ne pouvait pas montrer nos produits, les expliquer et les présenter au public », explique-t-il, en citant en exemple les nombreux Suisses alémaniques ayant découvert la fée verte au service militaire.
Dorénavant, la bleue est le symbole officiel, et non plus officieux, de la région. « Il y a le Creux du Van, les gorges de l’Areuse, les Mines de la Presta et l’absinthe ! », plaisante Philippe Martin, en citant en exemple les touristes qui, après avoir découvert ces lieux, visitent une ou plusieurs distilleries ou la Maison de l’absinthe (MABS). La MABS, un lieu « gagnant-gagnant » selon le président de l’interprofession, qui permet d’exposer la riche histoire du breuvage mythique, de présenter les produits des distillateurs et tous les autres dérivés liés à l’absinthe, crèmes, biscuits ou chocolats. Preuve d’une vraie tendance autour de l’alcool anciennement banni.
Trentaine de distillateurs vallonniers
Lors des prémices de la légalisation, certaines voix étaient pessimistes à cette idée et y voyaient « une deuxième mort de l’absinthe » qui allait en faire un produit de supermarché. Philippe Martin ne partage pas cette opinion : « Au Val-de-Travers, les distillateurs produisent encore un produit artisanal de grande qualité. Et on remarque que les gens qui connaissent l’absinthe recherchent des produits d’ici », note-t-il. Le président de l’interprofession relève cinq à six producteurs d’absinthe dans le canton hors Val-de-Travers et une dizaine en Suisse, alors qu’il en dénombre une trentaine au Vallon. Sur les 130’000 litres produits en Suisse, il estime qu’environ 90% sont distillés au Val-de-Travers.
« L’absinthe a gardé son identité régionale », selon Philippe Martin ajoutant que cette sortie de l’ombre permet de communiquer au grand jour sur l’histoire incroyable de cette boisson. Ainsi, la sortie du placard de la fée verte n’aurait en rien nui à son mythe ? « Le mythe n’a rien perdu. Cela sera toujours un produit avec un passé clandestin », souligne-t-il, évoquant les plaisirs de ses visiteurs « étrangers » à entendre les anecdotes de la prohibition. « Les gens me demandent souvent : qu’est-ce que vous avez retiré pour qu’elle soit légale ? Et je réponds mais rien ! La recette est inchangée », rigole Philippe Martin.
Unique dernier sujet problématique, et abordé dès l’idée d’une libéralisation, la création d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique protégée. Le président de l’interprofession ne peut nous dire qu’une seule chose, que des discussions sont toujours en cours entre partisans et opposants.
Gabriel Risold