À âmes déployées !
Rue Centrale 5, le vent cogne sec et l’atmosphère curieusement chaude donne un sentiment étrange à cette soirée où je rencontre deux artistes vallonniers à l’ancienne cure de Môtiers. Alors que les bruits venant des échafaudages de l’église se font de plus en plus insistants aux abords du point de rendez-vous, une tête à la chevelure grisonnante sort délicatement de la pénombre : « bienvenue Monsieur Vaucher ! ».
Trente secondes plus tard, me voilà assis à la table de la cuisine avec mes hôtes du soir Olivier D. Barrelet et Sabine Picard. La peintre et le sculpteur sur bois me proposent alors un voyage en avant-première avec comme destination leur exposition « Lumière et poésie en duo » .
Dialogue en profondeurs
De cette ambiance venteuse et hostile à l’extérieur, on ne retrouve rien une fois la porte d’entrée franchie. C’est éclairés par une petite lampe de bureau aux rayons puissants mais capricieux que la discussion démarre.
Pour moi, la sculpture est un voyage intérieur au plus près de mon âme. C’est un voyage au cœur de la matière comme un dialogue entre le vide et le plein ou entre le monde végétal et ses propres profondeurs,
commence fort Olivier D. Barrelet. Cet état d’esprit, il le répercute dans sa démarche artistique.
Je cherche du très vieux bois dans la nature. Je me perds en forêt et je laisse mon regard faire le reste.
Il a développé un sens de l’observation très affiné avec le temps. Ses yeux le trahissent rarement.
Nouvelle identité, nouvelle vie
Le Graal pour lui, ce sont des morceaux de bois oubliés depuis des décennies, voire plus. Et surtout, des fragments qui ont une histoire.
Plus ils sont marqués par les champignons, les vers et les intempéries, plus je suis heureux de mes trouvailles. Tout mon travail consiste ensuite à leur donner une nouvelle identité, Je veux les faire sortir de l’indifférence en leur offrant une certaine noblesse.
Son discours d’artiste bruisse gracieusement avec ce qu’il a vécu dans son parcours d’homme. Ce Zurichois de 83 ans a connu une carrière internationale d’ingénieur et de conférencier avant de se découvrir autrement dans les années 2000.
Je m’étais enfin trouvé et je sens que je deviens de plus en plus moi-même en sculptant aujourd’hui encore. Je sors de mon indifférence envers moi-même.
Il a osé franchir le pas de la porte de son âme.
Une centaine de créations
La bascule a pris la forme d’une puissante remise en question existentielle.
J’ai commencé à tourner la page du monde cartésien aux états-Unis où j’y ai longtemps vécu. J’ai compris qu’oser, c’est perdre pied momentanément alors que ne pas oser c’est se perdre soi-même.
Les deux artistes ne se sont pas perdus de vue, eux, qui en sont désormais à leur troisième exposition commune. Durant leur parcours, ils ont aussi exposé dans la région, en Suisse et même à l’étranger. La particularité de « Lumière et poésie en duo » vient de la taille de l’espace à disposition pour exposer.
Nous avons tout le rez-de-chaussée d’espaceVal à occuper donc nous pourrons vraiment nous dévoiler beaucoup avec un grand nombre d’œuvres. Car exposer c’est se dévoiler et se mettre en situation de fragilité.
Sabine Picard se livrera au public en une trentaine de peintures et Olivier D. Barrelet en fera de même à travers une septantaine de sculptures.
Peindre l’insaisissable !
Pendant que les éléments continuent de se déchaîner à l’extérieur, les mots claquent à l’intérieur. Chaque phrase résonne comme un écho à un morceau de vie des deux artistes. L’émotion s’intensifie plus on entre dans les détails de ce qu’ils exposeront du 6 au 28 novembre à espaceVal (pass sanitaire à présenter). Des joies immenses et de violents retours de bâton, tout le monde en a connu dans sa vie. Eux ont réussi à s’en libérer en les transposant en matière grâce à leurs mains.
Je présenterai des huiles sur toile et sur bois ainsi que des aquarelles. Personnellement, je cherche à saisir et à peindre des éléments qu’on ne perçoit pas. Des choses pour lesquelles il faut s’abaisser pour les percevoir. Je mets en lumière ce que la nature nous offre et que la plupart des gens ne regarde même pas,
trace la peintre.
Trouver sa mission
Par exemple en aquarelle, la femme au pinceau habile aime se pencher sur les fleurs.
Ou plutôt les fleurs séchées. Que deviennent-elles lorsqu’elles sèchent? Comment le temps agit sur elles? J’essaie d’en rendre compte en travaillant notamment avec des pigments broyés.
Cette professionnelle confirmée propose cours et stages pour s’initier à différentes techniques via son atelier Pics’Art à Noiraigue. Olivier D. Barrelet reprend la main pour conclure.
Lorsque quelqu’un a trouvé sa mission, le mot « travail » n’existe plus. Hélas beaucoup de gens vivent à côté de leur vie.
Si vous ne voulez pas passer à côté de leurs vies d’artistes, leur expo vous attend tout le mois de novembre.
Ce voyage dépaysant terminé, mes hôtes me raccompagnent sur le parvis de cette bâtisse pleine de surprises non sans me flanquer sous le manteau une boîte de douceurs. De quoi poursuivre le voyage, gustativement cette fois-ci. Définitivement de bonnes âmes !
Kevin Vaucher