A-t-on le droit de mourir en bonne santé?
C’est l’histoire d’un couple marié depuis 65 ans. Les époux ont 90 ans et ils portent toute la fatigue d’une vie sur leurs épaules. Madame souffre d’une ouïe déclinante alors que Monsieur vient de vivre un événement bouleversant. Vendredi dernier, il a fait un AVC à domicile. Avant cet AVC, ils n’avaient aucun souci majeur de santé. Pour eux, c’est hors de question de terminer leur chemin dans un home. En revanche, ils sont sûrs de vouloir « partir » ensemble. Madame est membre d’Exit (association pour le droit de mourir) depuis plusieurs années mais « la fatigue de vivre » n’est pas considérée comme une bonne raison de se donner la mort en Suisse. Alors que faire dans pareil cas ?
« Avant cet AVC de mon père, mes parents m’ont dit qu’ils voulaient mourir ensemble dignement. Mais il n’existe aucun lieu ni aucune structure offrant une échappatoire aux personnes âgées en bonne santé. Pour bénéficier d’une assistance au suicide, il faut être atteint d’une maladie incurable, de souffrances intolérables ou de polypathologies invalidantes liées à l’âge. Alors quelles sont les solutions dignes », se demande Jean-Marc Montandon. Faute de solution légale à leur envie de repos définitif, ses parents ont déjà songé à « faire le travail » eux-mêmes. « Avant son AVC, mon papa m’a dit qu’ils allaient finir par fermer le garage, laisser allumer le moteur et vous pouvez imaginer la suite. »
« Mes parents en ont assez de vivre ! »
Face à la détresse de personnes saines d’esprit, que répondre objectivement ? Pourquoi ne pas leur donner des chemins de fuite ? Ces questions, Jean-Marc se les pose constamment depuis que ses parents lui ont fait savoir leur choix de mourir ensemble. « Avec toutes les libertés que l’on accorde à droite et à gauche, pourquoi obligerait-on les aînés à mourir dans la souffrance ? Pourquoi n’ont-ils pas le droit de mourir avant d’être malades ? Mes parents sont fatigués, ils en ont juste assez de vivre. Pourquoi ne les écoute-t-on pas ? » Le Vallonnier, ainsi que sa sœur, ont accepté le choix de leurs parents. Mais ils regrettent l’absence de solution qui leur est offerte pour concrétiser ce choix. En référence aux salles de « shoot » ouvertes dans différents endroits de Suisse romande, Jean-Marc se demande pourquoi il n’existe pas de « salle d’adieu » où les aînés en bonne santé pourraient venir se retirer paisiblement.
La question des suicides des plus de 65 ans
« Une permanence pourrait être assurée par les différentes entreprises de pompes funèbres du canton par exemple. Entourés par des professionnels, les aînés pourraient ainsi mourir en signant un contrat de fin de vie. » L’idée va peut-être loin pour certains mais elle pose de véritables questions : « Pourquoi les gens se suicident-ils ? Est-il normal qu’ils le fassent en impactant la vie d’autres personnes en se jetant sous les roues d’un train ou en se pendant au crochet de la douche ? Cela fait inutilement souffrir les témoins qui y sont confrontés. » Les seniors sont particulièrement concernés par ces questions. L’isolement, la solitude et le sentiment d’inutilité pèsent sur les plus de 65 ans. Ceux-ci représentent environ un tiers de suicides en Suisse. « Ce week-end, après son AVC, mon père a lancé un appel au secours poignant à ma maman. Il lui a crié ‹ j’ai besoin de toi › au téléphone. Mes parents souffrent de continuer à vivre. D’autant plus avec l’AVC que vient de faire mon papa. »
L’impuissant sentiment que le départ approche
Cet accident vasculaire cérébral pourrait changer la donne compte tenu des séquelles avec lesquelles doit désormais vivre l’homme de 90 ans. Ces « souffrances nouvelles » pourraient peut-être permettre à Monsieur de bénéficier de l’aide au suicide d’associations comme Exit. « Ce sont des démarches que l’on doit entreprendre. Mais ma maman voudra partir avec lui et elle n’est pas malade au sens de la loi. Si mon papa rentre de l’hôpital, j’ai le sentiment que leur départ ne va pas traîner. Ils nous l’ont dit eux-mêmes. » Jean -Marc a déjà l’expérience des choix douloureux. En sa qualité de proche aidant et de bénévole de l’Association Alzheimer, il a eu le pouvoir de vie ou de mort sur une dame sans famille avec qui il avait tissé de solides liens. « Elle est entrée à l’hôpital et les médecins m’ont appelé pour prendre une décision. Cette personne est finalement décédée en février dernier. » Parfois, c’est justement le fait de conférer à une autre personne le pouvoir légal de donner la mort qui pose problème. Dans le cas de personnes saines d’esprit et capables de discernement, qu’est-ce qui coince ? La question est ouverte.
Kevin Vaucher