Accident mortel sur un chantier
Meurtre par dol éventuel ou homicide par négligence
A…, chef d’entreprise, a demandé à deux de ses ouvriers de procéder à des travaux de maintenance d’une toiture de dépôt, soit au remplacement d’une cinquantaine de plaques en fibrociment. Formés sur le tas, l’un des ouvriers (E) était titulaire d’un CFC de boucher, l’autre (F) d’un CFC de menuisier. A… a fourni à ses ouvriers une nacelle élévatrice dans laquelle ceux-ci devaient prendre place pour accéder au toit depuis l’extérieur du bâtiment, ensuite de quoi ils devaient s’assurer en attachant leur harnais antichute aux barres à neige fixées sur la toiture. Par contre, il n’a pris aucune mesure de protection en vue du démontage et de l’élimination des plaques. Se rendant compte qu’il ne leur était pas possible de procéder aux travaux depuis la nacelle, les ouvriers ont installé une échelle sur l’avant-toit en fibrociment recouvrant les quais de chargement. E… a informé A… de ce fait. Ce dernier a pris acte de l’information sans procéder à une réévaluation des mesures à mettre en œuvre pour prévenir les risques de chute au bord du toit et à travers celui-ci.
Le 17 mai 2017, après avoir procédé à l’enlèvement de cinq plaques, E… et F… ont fait une pause au cours de laquelle tous deux ont enlevé leur protection individuelle. À la reprise du travail, ils reprirent une plaque de fibrociment neuve, la tenant chacun à une extrémité, E… avançant, F… reculant. Parvenu près de la zone des travaux, F… a fait un faux pas, a perdu l’équilibre et a chuté dans l’ouverture du toit résultant de l’enlèvement des anciennes plaques. Il est tombé d’une hauteur de 9,4 mètres sur le sol de l’entrepôt. Transporté d’urgence au Chuv, il est décédé de ses blessures le 18 mai 2017.
Depuis plusieurs années, la Suva était déjà intervenue auprès de l’entreprise et, plus précisément, auprès de A… pour avoir constaté des manquements aux prescriptions en matière de sécurité au travail. A… a, personnellement, été rendu attentif aux mesures de protection à mettre en œuvre pour prévenir le risque de chute au-delà du bord du toit ou à travers le toit, et ce même pour des travaux de courte durée. Ensuite de la visite d’un chantier identique à celui de mai 2017, la Suva avait déjà, dans une lettre adressée aux responsables de l’entreprise, souligné les mêmes exigences que rappelées ci-dessus, soit qu’en matière de prévention, il fallait toujours privilégier les protections collectives par rapport aux protections individuelles. Ainsi, depuis longtemps, A… a manifesté un mépris inacceptable pour la sécurité de ses ouvriers, son inaction étant guidée par des considérations financières : la Suva voulait des filets de sécurité sous la toiture aussi grande qu’un terrain de foot. Selon A…, c’était impayable.
Un tel raisonnement permet de conclure que A… connaissait le risque d’un accident mortel et que, bien que ne souhaitant pas cette éventualité, il s’y est résigné pour des motifs financiers. Mais le Tribunal fédéral s’est refusé à cette conclusion en retenant le fait que, au cours de sa longue activité professionnelle, A… n’avait connu aucun accident sur ses chantiers : « Il n’est toutefois pas contraire au droit fédéral d’en déduire que le recourant estimait subjectivement que le risque qu’il courait d’avoir un accident grave sur son chantier était faible ». En dépit des considérations financières pré rappelées, le dol éventuel n’a pas été retenu, contre l’avis d’un procureur général et malgré les multiples remises à l’ordre de la Suva. (ATF 7B_62/2023).
Blaise Galland, avocat