Bien trop de mains vont au panier
Le Panier solidaire fête ses 10 ans cette année. On n’a pas vraiment envie de s’en réjouir mais son activité est devenue vitale pour une centaine de Vallonniers aujourd’hui. En 2013, ils étaient cinq fois moins à ne pas réussir à se nourrir chaque semaine. Désormais, il a fallu constituer deux groupes, en alternance une semaine sur deux, pour contenter péniblement tout le monde. Pour continuer à répondre à la demande, l’association doit débourser plus de 20’000 francs chaque année pour compléter ses paniers alimentaires.
« Cette augmentation de la demande au Val-de-Travers est inquiétante. La pauvreté touche de plus en plus de personnes mais l’offre ne peut pas suivre », plante immédiatement le président Serge Franceschi. Lui et une douzaine d’autres bénévoles sont en première ligne face à la détresse de plus en plus de Vallonnières et Vallonniers. « Dernièrement, une dame nous a appelés car elle n’avait même pas de quoi s’acheter le billet de train, depuis un village du Vallon, pour venir jusqu’à notre local de Fleurier », relate-t-il les yeux remplis d’incompréhension face à ce genre de situations.
La pauvreté n’a pas de passeport
Il faut dire que la petite équipe du Panier solidaire ne s’attendait pas à vivre pareille situation lorsqu’elle a lancé cette initiative, il y a dix ans. « Une aide alimentaire se faisait pour le centre de requérants de Couvet et on a voulu élargir cette idée pour l’offrir à toute la population. La pauvreté n’épargne ni les Suisses ni les Vallonniers. » Comme la peste, elle n’a pas de passeport ! Tout s’est fait en partenariat avec Table Suisse. À l’échelle nationale, cette structure se charge de récolter chaque année environ 24 tonnes d’invendus, auprès du commerce de détail, pour les redistribuer à des associations comme le Panier solidaire. Elles sont 500 à en bénéficier gratuitement dans tout le pays.
22’000 francs par an
Ces quantités restent malheureusement insuffisantes. « Nous avons droit à 10 à 15 caisses d’invendus par semaine. Mais comme nous sommes passés d’une quinzaine à une centaine de bénéficiaires, en dix ans, l’offre n’a pas pu suivre la demande. Il a fallu trouver d’autres solutions pour remplir nos paniers. » Comme souvent, cette solution s’appelle « argent ». Les dons versés à l’association ont permis de limiter la casse. Mais là encore, on tend vers une limite. « On dépensait 500 francs par an pour compléter nos paniers durant les deux premières années et maintenant nous devons débourser 22’000 francs pour continuer à remplir notre mission d’urgence. »
Une pauvreté rampante
Urgence, le mot est bien trouvé devant l’inefficacité et l’inaction des politiques pour freiner la pauvreté rampante. « Heureusement, la générosité des gens, de la commune et des clubs services nous permet d’avancer. L’église catholique nous fournit régulièrement de la nourriture. Une corbeille est située à l’entrée de l’église de Fleurier pour réceptionner les dons alimentaires. »
Ceux-ci peuvent également être déposés au local de l’association, qui se trouve juste en face du lieu sacré. « La Croix-Rouge envoie également des palettes de temps en temps », ajoute « le philanthrope » Jämes Vaucher, jamais bien loin quand il s’agit d’aider.
Soutien des commerçants locaux
Le mercredi matin, les bénévoles font une tournée auprès des commerçants du Vallon pour faire le plein de produits frais avant la distribution de l’après-midi. « Les bénéficiaires se suivent en l’espace de deux heures. Les provisions sont déposées dans des caisses le long de longues tables et ils prennent un produit dans chaque caisse (conserve, pâtes, pain, cacao, thé froid…). » Contrairement à ce que font les Cartons du Cœur par exemple, il n’y a pas de livraison à domicile. « J’ai fait une exception la semaine dernière car une famille m’a appelé pour me dire qu’elle n’avait rien mangé depuis deux jours. Je lui ai apporté quelques réserves en urgence », explique Serge Franceschi. Urgence, encore ce mot…
Et bientôt la crise du logement ?
Chaque semaine, ce sont 500 francs de nourriture qui trouvent preneurs. Devant un tel constat d’urgence, les autorités nationales vont-elles enfin prendre le taureau de la pauvreté par les cornes ? Le pays est capable de débloquer des milliards, en quelques secondes, pour des raisons sanitaires ou humanitaires. Mais quand l’estomac des plus démunis appelle à l’aide, il fait brusquement la sourde oreille. La situation est grave et pourrait encore s’empirer, au moment même où une autre menace, celle du logement, plane de plus en plus sur nos têtes. Les prix flambent et des spécialistes estiment que la Suisse se dirige vers une pénurie de plus de 50’000 logements d’ici à 2026. Au lieu de mettre la main au panier, certains feraient mieux de la mettre « à la pâte ».
Kevin Vaucher