Bleu de Chine
Les lumières s’éteignent dans la lumière
Vendredi soir, il est 19 heures lorsqu’Amanda Ioset fait irruption à Bleu de Chine. Toutes les chaises ont trouvé leurs invités pour ce qui était un peu « la dernière qui sonne » de la galerie. Ce concert intimiste, réunissant une trentaine de personnes, marquait le début du dernier week-end du lieu d’art du couple Adriana et Philippe Ioset. Et qui de mieux que leur fille aînée pour conclure cette belle histoire ?
Dimanche 15 décembre dernier, sur le coup de 18 heures, Adriana et Philippe Ioset ont fermé les portes de leur galerie, après une dernière magnifique exposition de leurs œuvres respectives. Lors du croqu’art de cette ultime journée, Claude-Alain Kleiner a prononcé quelques mots dont voici certains extraits.
(…) L’art, toutes formes confondues, ouvre des portes. Ainsi, ce mot de Samuel Benchetrit tiré de son texte « Lapin », actuellement joué à Paris, avec Pierre Arditi et Muriel Robin : « C’est triste de ne pas voir la même chose lorsque l’on regarde dans la même direction ! » Dans une vie partagée, peut-être, et encore… Mais pour ce qui concerne l’art, c’est tout l’inverse ! C’est ce que nous ont démontré Adriana et Philippe.
Durant toutes ces années, la galerie Bleu de Chine n’aura eu de cesse de nous ouvrir au monde. À aller à la rencontre d’autres pays, d’autres personnes, d’autres cultures… En déambulant, nous observions tous les mêmes œuvres exposées. En même temps, nous nous élevions tous vers d’autres horizons, chacune et chacun les siens. En ce sens, et même si Bleu de Chine ferme aujourd’hui ses portes, l’acquis demeure, il est indélébile. Pour chacune et chacun d’entre nous d’abord, pour le Val-de-Travers ensuite. Alors que le monde et ses nations ferment leurs frontières, l’art passe outre ce protectionnisme malvenu, ce refus du « vivre ensemble ».
À Bleu de Chine, pas d’entre-soi… L’âme de la maison, le respect, l’attention de l’autre… Un lieu de partage, au sens le plus noble du terme : vernissage, concert, croqu’art et finissage, un rituel savamment pensé, encourageant les échanges, car l’art est un magnifique prétexte au partage. Dans une époque marquée par des épidémies de solitudes, Adriana et Philippe nous ont inculqué une nouvelle grammaire du monde. Bleu de Chine a contribué à permettre au Val-de-Travers de lever son regard au-delà de sa géographie, pour découvrir le monde. L’art, prétexte à l’échange, à la réflexion, au silence… Dans un monde de bavardages incessants, de trop-plein de mots, de « hauts parlants », le bonheur de revenir au bienfait du silence… Bleu de Chine a permis ces temps.
Lorsque l’on pense à Bleu de Chine, à Adriana et Philippe, c’est le mot communion qui vient à l’esprit. À l’image de cette dernière exposition… Sans entrisme ! Sans symétrie et sans copier-coller ! Communion et non fusion, au contraire, une communion sans perte aucune d’identité… Dans le respect de chacune d’elles. Les œuvres de Philippe sont différentes de celles d’Adriana. Tout ou presque est différent. Pourtant, quelle superbe communion dans une parfaite complémentarité de couleurs, de tonalités. Bref, une communion d’âmes ! Ou quand la tendresse et la dureté, chez chacun d’eux, font bon ménage ! Œuvres croisées sur une vie partagée…
Chez Philippe et Adriana, il y a leurs œuvres respectives. Mais il y a aussi et surtout leur œuvre commune : leur galerie ! Car c’est une œuvre qu’ils ont créée et dont ils peuvent être fiers. Fiers de leur courage, de leur pugnacité, de leur volonté d’indépendance. De leur liberté ! Plus que de courage, d’écoute et de respect de soi. La gestion d’une entreprise, pour une députée popiste peut-être davantage encore, c’est une aventure. Risquée parfois, faite de joies et de tristesses… « À l’instinct ! », lance Philippe… Aucun doute là-dessus ! La dynamique du « coup de cœur »… Il faut une force incroyable. Merci à Adriana et Philippe d’avoir trouvé cette force, confortant le propos de Hugo Pratt : « Sans curiosité, on meurt, sans courage on ne vit pas ».
Un mot encore, avant de conclure… À l’attention de Philippe, Adriana ne m’en voudra pas ! Te dire, cher ami, combien j’ai apprécié tes présentations d’artistes. L’humanisme que tu as su insuffler dans chacune de tes laudationes a généré chez moi une véritable admiration. À ces occasions, tu laissais la carapace s’écarteler quelque peu pour faire apparaître toute ta sensibilité. Et ta compétence à mettre en valeur autrui. Chapeau bas, cher Philippe !
Cela m’amène à conclure ainsi, inspiré par Aristote : Bleu de Chine a su allier le bon, le vrai, le beau ! Merci à tous les deux et bon vent !
Claude-Alain