Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission: faire la lumière sur la vie d’une des figures sportives du Vallo
Renseignements sur l’objectif : solide gaillard, excellente réputation, personnage fortement implanté dans la région
Localisation de l’objectif et date: Fleurier -mai 2024
Observations du terrain : Kenny Huguenin est ce qu’on appelle un leader par l’action. Il préfère laisser parler ses actes plutôt que de prendre la parole inutilement pour se mettre en avant. Il faudra donc « gratter » un peu pour obtenir des renseignements sur sa vie.
Kenny Huguenin vient d’avoir 36 ans et il a presque toujours porté le maillot du CP Fleurier jusqu’à aujourd’hui (excepté deux saisons où il a évolué à Star Chaux-de-Fonds et à Yverdon). « Il y a certains meubles qui sont plus récents que moi dans la patinoire de Fleurier », plaisante-t-il. S’il peut paraître distant lorsqu’on ne le connaît pas, le Vallonnier est en réalité juste une force tranquille, toujours prêt à se battre pour les autres. Cette saison, l’équipe dont il est capitaine depuis trois ans a été reléguée en deuxième ligue. Ce qui l’a poussé à prendre une décision forte : « J’ai décidé de prolonger mon contrat d’une saison supplémentaire. Je ne me voyais pas abandonner le navire sur un coup dur. Le capitaine est toujours le dernier à quitter le bateau », symbolise-t-il. Le numéro 89 du Centre de sports de glace est un combattant, un vrai ! C’est ce qui lui a notamment permis de vaincre un cancer en 2011. Et même avec 20 kilos en moins, le soldat Huguenin n’a jamais voulu quitter le champ de glace…
Le petit garçon est devenu un homme sur les patins
« Le hockey sur glace a été une vraie école de vie pour moi. La patinoire de Fleurier a toujours été comme ma seconde maison et le club est ma seconde famille. Je suis arrivé sur les patins comme un petit garçon et je vais les retirer, dans une année, en étant un homme. » Fidèle à sa droiture, Kenny Huguenin coupe court à tout début de suspense. Le championnat 2024/25 est et restera le dernier qu’il disputera avec l’équipement sur les épaules. « C’est une décision définitive car il faut savoir tourner les pages au bon moment. Par contre, je suis tout à fait ouvert à l’idée de garder un autre rôle au CP Fleurier. » L’homme évoque spontanément la fonction d’entraîneur auprès des jeunes. Évidemment ! Cela pouvait difficilement en être autrement avec celui qui essaie toujours d’être exemplaire sur et en dehors de la glace. « Je sais que j’ai une responsabilité en tant qu’ancien. Vous savez, j’ai joué ma première saison chez les adultes en 2004. Certains de mes coéquipiers actuels n’étaient pas encore nés. Je suis même plus âgé que notre coach Nicolas Motreff, c’est vous dire… » Si on associe cette expérience à sa carrure, à son envie de transmettre et à ce qu’il a traversé dans sa vie (voir encadré ci-contre), le bonhomme incarne tout ce qui fait un bon capitaine. Il en impose naturellement !
Une place centrale dans le vestiaire
S’il est aujourd’hui LE visage du CP Fleurier, Kenny Huguenin n’a pas toujours souhaité assumer un rôle aussi important. « Lorsque j’avais 22 ou 23 ans, mon entraîneur Philippe Marquis m’avait nommé capitaine. C’était un honneur mais il y avait des joueurs bien plus anciens dans le vestiaire et je ne me sentais pas assez légitime par rapport à eux pour occuper ce rôle. J’ai donc demandé à ne plus l’être durant quelques années. » Désormais, l’âge « parle pour lui » et sa place centrale dans le vestiaire des Chats veut tout dire : c’est désormais lui qui incarne l’autorité et le leadership ! « J’appréhende ma position comme celle d’un pivot qui doit faire le lien entre le coach et les joueurs pour que l’unité triomphe toujours. J’aime écouter mes coéquipiers pour comprendre certaines choses. Parfois, ils me disent qu’ils ont des soucis extra-sportifs et je peux alors dire à l’entraîneur de ne pas trop en rajouter avec eux, de les laisser un peu tranquilles. À l’inverse, je vais parfois vers certains joueurs pour leur dire qu’ils sont dans le collimateur et qu’ils feraient bien de se bouger un petit peu plus. » Trouver la juste mesure semble être naturel chez lui, un peu comme lorsqu’il sert les clients de la boucherie familiale dans laquelle il travaille depuis 17 ans maintenant.
Près de 20 ans à se décarcasser à la boucherie familiale
Son papa Louis-Zélim a lancé l’affaire en 1987, au cœur de Fleurier. Kenny a rapidement rejoint l’équipe à la suite de son apprentissage de boucher-charcutier passé auprès de… Rémy Bohren. Un concurrent de Couvet ! Puis, le Fleurisan a fait le choix de son équipe. « J’ai bien sûr intégré l’équipe de mon papa à la fin de l’apprentissage. Nous sommes une petite boucherie où nous faisons tout de A à Z. » Servir les clients, porter les carcasses, préparer la viande, tout y passe ! Mais le sport n’est jamais bien loin et la boucherie de la famille Huguenin s’est peu à peu transformée en grand « salon » où il fait bon venir échanger sur le sport, sur sa vie et évidemment sur le CP Fleurier : « Lorsque nous avons vécu notre épopée jusqu’en finale romande de 2e ligue (2018), contre Martigny, c’était fou ! Certains ouvraient parfois simplement la porte pour me féliciter ou pour hurler un encouragement pour le match à venir. » Le grand salon de la famille Huguenin fermera hélas ses portes d’ici à deux ans et demi. « Mes parents seront alors à la retraite et nous avons décidé de ne pas continuer l’aventure avec ma sœur. Cela fera vingt ans que je suis là-dedans, c’est déjà beaucoup et j’ai envie de voir autre chose. Mais que nos clients se rassurent, c’est une figure bien connue et compétente qui va reprendre le commerce. » Mission réussie ! Je rentre au Courrier. Cet article s’autodétruira dans quelques semaines, quelques mois ou quelques années. Tout dépend dans quelles mains il tombera.
Vous êtes maintenant le « vieux du vestiaire ». Avez-vous eu des mentors dans le hockey lorsque vous étiez plus jeune ?
« La famille Marquis a clairement été décisive dans mon parcours de hockeyeur. C’est le papa de Philippe, Germain, qui venait me chercher à la boucherie pour m’emmener aux entraînements. Puis, comme tous les petits Vallonniers, j’étais fan de Fribourg car Philippe y jouait. Il y avait aussi Lugano, avec Sandy Jeannin. Finalement, mon idole est devenue mon entraîneur à Fleurier. Il m’a notamment accompagné durant la période de mon cancer. Aujourd’hui, je suis fier de pouvoir dire que c’est mon ami. Et l’histoire est encore plus belle depuis cette année. La boucle a été bouclée en quelque sorte puisque le fils de Philippe, Soren, a joué le dernier match de la saison passée avec nous (la 1re équipe du CP Fleurier). Il évoluera également avec nous lors du prochain championnat. C’est très spécial et très touchant car les rôles s’inversent, c’est moi qui vais maintenant essayer de jouer le rôle de mentor et de ‹ grand frère ›. » La filiation inter-famille continue…
2011 : son combat contre le cancer et… sur les patins !
Kenny Huguenin est un dur au mal. Depuis 17 ans, il se lève tous les matins de la semaine entre 5 h et 6 h pour aller travailler dans la boucherie familiale. De quoi laisser peu d’heures de sommeil lors de certains longs déplacements. « Il m’est arrivé de dormir deux à trois heures puis de partir au boulot. La fatigue n’a jamais été une excuse pour renoncer ou pour être en retard. Le corps s’adapte à tout. » Mais lorsque la maladie s’emmêle, comme en 2011, le corps souffre et il se rapproche du point de rupture. À la suite de douleurs inhabituelles après une partie, l’attaquant fleurisan subit des examens à Genève et le verdict tombe, comme un couperet fendant une carcasse d’un seul coup : le jeune homme de 23 ans est atteint d’un cancer. Il doit se faire retirer rapidement la tumeur cancéreuse et commencer un traitement à Bienne.
« C’était un double choc. D’abord l’annonce et l’interdiction de faire du sport ensuite ! J’ai perdu 20 kilos mais je continuais malgré tout à jouer au hockey en douce, sans rien dire aux médecins. Le club pensait que j’avais leur autorisation. Je ne pouvais pas m’en passer, je n’ai pas réussi à faire autrement. » Avant de venir définitivement à bout de son cancer en quelques mois, le Vallonnier a vécu un flot d’émotions sur la glace durant cette période. « J’étais très affaibli par la chimio et nous jouions une série de play-off contre Saint-Imier. J’ai clairement pris des risques, je le sais. Mais dans l’autre équipe, plusieurs joueurs que je connaissais avaient prévenu leurs coéquipiers de ma situation et personne n’était venu au contact contre moi. J’avais trouvé cette attitude extraordinaire et c’était vraiment très touchant. »