Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission : dépasser les bornes !
Renseignements sur l’objectif : la borne est un objet de tensions à travers le temps.
Localisation de l’objectif et date : Val-de-Travers, sur la frontière – octobre 2024.
Observations du terrain : les frontières ne sont pas figées. Elles sont sans cesse redéfinies par les conflits, par les traités et par les envies d’expansion des uns et des autres. Le Vallon n’y échappe pas !
Les bornes sont des marques, le plus souvent en pierre, qui délimitent un espace par rapport à un autre. La Suisse en a disposé plus de 7000 autour de son territoire, sur les 1935 kilomètres de frontières avec cinq autres pays. Mais il y en a aussi à l’intérieur d’un même espace, que ce soit entre cantons, entre communes et même entre voisins sur le plan plus privé. Au temps où les bornes n’existaient pas, les frontières étaient très abstraites. Les « voyageurs » avaient le sentiment de passer dans une autre région lorsque la langue, les coutumes ou le seigneur en place changeaient. Cela vous fait probablement sourire. Mais posons-nous une question simple : la matérialisation des frontières a-t-elle apporté la paix entre « voisins » dans le passé et aujourd’hui ? La réponse est non et les exemples sont nombreux, y compris au Val-de-Travers !
Objet de clarté territoriale mais objet de tensions aussi !
Si on revient un peu dans le passé, on constate que les Romains ont été les premiers à délimiter une partie de leur territoire. Pour ce faire, ils utilisaient des limes qui étaient ni plus ni moins que des fortifications sur certains axes stratégiques. Elles servaient essentiellement à se protéger des attaques ennemies. D’une manière générale, l’autorité des puissants s’exerçait davantage sur les humains que sur les limites précises de territoires à l’époque féodale. Les lieux où les frontières étaient les plus mal définies constituaient naturellement les terrains les plus propices aux confrontations. C’est à la fin du Moyen Âge que les choses ont commencé à évoluer sur ce plan. La montée en puissance des monarques, représentés par des administrateurs, en région, a entraîné un renforcement du besoin de délimiter l’espace pour mieux le contrôler. C’est à la Renaissance que les bornes ont vraiment commencé à s’imposer. Or, cette nouvelle approche était à double tranchant : elle apportait de la clarté d’un côté mais elle engendrait aussi des tensions. Car qui dit territoire dit aussi défense de son territoire ! Au départ, les limites naturelles ont beaucoup été utilisées, comme par exemple une grosse pierre entre deux terrains. Le plus important étant que les deux parties s’entendent sur un repère commun.
Quand la population fait disparaître la Prusse du paysage
Par la suite, les traités se sont multipliés et le monde s’est progressivement quadrillé. Les « bornes naturelles » n’étaient plus du tout suffisantes et les bornes en pierre que l’on connaît tous ont alors été créées massivement. « Elles étaient apportées dans des terrains parfois très difficiles à l’aide de chars », détaille le Niquelet Denis Flückiger. Cet ancien maître de culture générale du CPLN a souvent « dépassé les bornes » pour mieux comprendre l’évolution des villages du Val-de-Travers. « Dépasser les bornes est une bonne expression car ces pierres sont bien plus parlantes qu’on pourrait le croire à première vue. Au fil du temps, elles ont été marquées et taillées, de sorte qu’il est possible d’en tirer de nombreux enseignements historiques et politiques. » Sur un champ de bataille, planter son drapeau sur la terre de l’adversaire symbolise une victoire et un rattachement de territoire. Selon le même principe, marquer une borne de sa « patte » est une façon de planter son territoire. « Prenez le cas concret de la Prusse par exemple. Les Neuchâtelois dépendaient du roi de Prusse jusqu’à la Révolution de 1848. Lorsque la bascule a eu lieu, la population s’est empressée d’aller effacer toutes les traces prussiennes des bornes de notre canton. »
Sur le chemin des bornes : l’incroyable travail de Claude Wacker
Vous voulez une autre anecdote et savoir pourquoi une Croix de Savoie se trouve encore sur le territoire de La Côte-aux-Fées ? Voilà la réponse : « Du 13e siècle jusqu’en 1536, le Pays de Vaud a été occupé par la Savoie. Or, La Côte-aux-Fées possède une frontière avec le Pays de Vaud. Et comme l’administration savoyarde avait fait tailler une croix sur l’une des bornes frontières, on peut donc la voir si on se balade un peu en direction de La Vraconnaz. » Cette frontière vous semble un peu floue ? Pas de souci, Claude Wacker a pensé à tout ! Cet ancien professeur à l’université de Neuchâtel a parcouru l’entier du canton de Neuchâtel à vélo pour recenser toutes les bornes frontières qui entourent notre canton. Ce travail « de fou » et de fond est consultable à cette adresse :
umap.osm.ch/fr/map/bornes-historiques-de-neuchatel_3405#11/46.9945/6.6831. Ceux qui sont adeptes de découvertes, tout en étant actifs, sachez qu’il existe un sentier des bornes entre la frontière commune des Fourgs et de Sainte-Croix. Tout en marchant ou en courant, vous pouvez découvrir son histoire mouvementée en reliant différentes bornes sur des boucles allant de 12 à 23.5 kilomètres. Allez, à vous de bouger maintenant. Moi j’ai fait mon boulot. Mission réussie, je rentre au Courrier. Cet article s’autodétruira à la prochaine frontière qu’il passera…
Que faire si notre maison est coupée par la frontière ?
Cette question semble un peu naïve de prime abord mais elle peut en réalité être bien plus impactante qu’on ne le pense. « Cela arrive à différents endroits du globe. Dans le canton de Vaud, un restaurant est dans cette situation », relève Denis Flückiger. Dans ce cas, mieux vaut que les centimètres soient du bon côté, non ? « C’est plus complexe que cela. En général, les deux pays ou les deux cantons doivent s’entendre pour définir où le propriétaire doit remplir ses obligations de citoyen comme les impôts. » Une décision qui peut coûter cher sur le plan fiscal notamment. Dans le cas du restaurant, les clients peuvent ainsi prendre le repas en Suisse et s’offrir un petit digestif au bar, en France. Original !
Gaza, Ukraine, Taïwan : quand un pays dépasse les bornes !
Pour pouvoir figer une borne dans l’espace, il est nécessaire que deux parties s’entendent. Cela paraît simple sur le papier mais c’est parfois bien plus complexe dans la réalité. Le conflit n’est jamais bien loin dans certaines régions. Il peut venir pour une question de partage de territoire entre deux peuples, comme à Gaza. Il peut aussi découler de la volonté de souveraineté d’un peuple comme en Catalogne ou en Corse. Cela se complique encore quand un autre pays prétend avoir des droits sur une région indépendante comme c’est le cas entre Taïwan et la Chine. Parfois, les tensions remontent à beaucoup plus loin. C’est ce qui se passe avec la Russie, qui, sous prétexte de revenir aux anciennes frontières de l’URSS, souhaite reconquérir l’Ukraine (et potentiellement d’autres pays baltes ensuite). Mais nul besoin de partir si loin pour tomber sur des cas complexes de gestion du territoire. Il suffit par exemple de se pencher sur celui du Vitiau. Cet endroit stratégique se situe entre trois territoires : le Pays de Vaud, le canton de Neuchâtel et la France. La frontière n’a pas été très claire à une certaine époque puisqu’elle a bougé de 200 mètres. Des tensions sont alors apparues, ce qui a conduit à ce qu’on appelle « le séquestre du Vitiau ». Certaines personnes ont tenté de déplacer les trois pierres qui faisaient office de frontière pendant la nuit, intensifiant encore l’électricité entre les parties. En 1598, un homme a même été tué à coup d’arquebuse en raison, probablement, d’un désaccord sur l’exploitation de la forêt.