Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission: décrypter comment les Britchons créent leur répertoire musical
Renseignements sur l’objectif : guggen mythique du Val-de-Travers et de la région du haut de ses 35 ans d’existence
Localisation de l’objectif et date: Couvet – avril 2024
Observations du terrain : d’après les rumeurs, l’univers des guggens est rempli de fêtards et d’alcool. Comme je n’en bois pas, faudra-t-il trouver des stratagèmes pour me fondre dans la masse ?
« Les musiciens des guggenmusik sont tous des fêtards avinés qui aiment faire du bruit. » On ne va pas se le cacher, on a tous déjà entendu cette phrase en participant à un carnaval. Est-ce un cliché ? Que se cache-t-il réellement dans le fonctionnement d’une guggen ? Et d’ailleurs, qui crée les morceaux sur lesquels le public aime tant se déhancher ? D’où sortent-ils et comment arrivent-ils jusqu’à nos oreilles ? Ces questions, personne ne se les pose au milieu de la fête et pourtant, elles révèlent beaucoup de choses sur l’état d’esprit qui règne dans une guggen qui n’est autre qu’un rassemblement de musiciens finalement. Des musiciens qui aiment l’ambiance festive mais qui aiment au moins tout autant créer, s’entraîner et se perfectionner continuellement dans le but de faire plaisir.
Un comité pour créer de nouveaux morceaux
Le cas des Britchons est très intéressant. D’abord parce qu’ils fêtent leurs 35 ans cette année. Ensuite, parce qu’ils perpétuent la tradition de créer eux-mêmes leurs morceaux. « Il y a deux catégories de cliques dans le monde des guggens. Il y a d’abord celles qui achètent leurs morceaux ‹ tout faits › sur catalogue, à des maisons professionnelles qui ne font que cela. Ils ont l’avantage d’être livrés ‹ clef en main › mais ce sont des sons très propres et très traditionnels. Ce sont des partitions similaires à ce qu’on peut trouver chez les fanfares ordinaires en fait. L’un des inconvénients est aussi que plusieurs groupes peuvent acheter le même morceau », rapporte David. Un titre est acheté plusieurs centaines de francs. Les Britchons n’ont jamais été friands de ce travail prémâché ! Eux, ce qu’ils aiment, c’est le « fait maison ». « C’est notre coutume de créer nos propres morceaux et nous avons toujours réussi à le faire grâce aux nombreux talents que nous avons à l’interne. » Un comité de création a spécialement été mis sur pied pour s’occuper de cette tâche. « En procédant de cette façon, les Britchons parviennent régulièrement à sortir des sons plus percutants et plus festifs que ce qui est créé par des fournisseurs privés », complète Priscilla.
Un morceau vit et évolue en permanence
Pour résumer, rien ne remplace le feeling et les sensations des musiciens qui sont sur le terrain. Lorsqu’une guggen crée un morceau, elle peut directement sentir l’accueil qui lui est réservé par la population dans les carnavals. « Les réactions des gens et leurs retours nous permettent de structurer et de perfectionner au mieux nos créations. De cette façon, chaque morceau peut en permanence être amélioré », ajuste David. « C’est super important d’avoir cette marge de manœuvre car la plupart de nos musiciens ne sont pas professionnels et ils n’ont pas fait de solfège. Une partition standard leur serait donc incompréhensible car illisible pour eux », renchérit Carole. Du coup, il n’y a ni notes, ni portées sur les partitions des Britchons. Celles-ci se contentent d’aligner une suite de noms de note (fa – sol – mi…). « C’est par nos entraînements en commun que chacun acquiert la durée de chaque note et que chacun s’accorde avec les autres. La partie trompette est primordiale car c’est elle qui soutient la mélodie. C’est ce qui crée une bonne base sur laquelle les autres instruments peuvent venir se greffer. »
35 titres à savoir jouer sans partition devant les yeux
Les lèvres des meilleurs trompettistes sont capables d’apprivoiser une nouvelle mélodie en quelques minutes. Mais il faut des semaines pour que chaque instrument parvienne à battre en rythme avec les autres sur un nouveau morceau. Les plus de trente membres des Britchons doivent ainsi être capables de jouer l’ensemble du répertoire musical qui compte 35 titres. « Avec le renouvellement constant du répertoire (3 nouveaux morceaux ont été créés ou remasterisés l’an dernier par exemple), certains anciens membres comme Carole (20 ans de société) sont de vraies mémoires vives, capables de jouer des dizaines et des dizaines de sons », apprécie David. Et comme les Britchons ont la particularité de se produire sans partition devant les yeux, pour avoir un contact optimal avec le public, tout le monde doit les apprendre par cœur. Et si vous avez l’impression de reconnaître les mélodies des morceaux des Britchons, c’est tout à fait normal. « Au début, nous partons toujours d’une mélodie existante que le groupe aime bien. Puis, nous l’adaptons pour en faire un morceau qui colle avec l’esprit guggen et l’esprit de carnaval. Quand nous arrivons à une version optimale et que chacun arrive à la jouer comme il faut, c’est magique », révèle Priscilla. Un blind-test géant, ça vous dit ? Alors suivez les Britchons au Carnavallon et tentez de reconnaître chaque titre qu’ils jouent ! Allez, mission réussie, je rentre au Courrier ! Cet article s’autodétruira quand tu le décideras.
Comment se passe la cohabitation avec la Mystic Vallon’s ?
Honnêtement, nous nous entendons bien car nous avons une ligne de conduite claire. Personne ne pique les morceaux à l’autre et tout se passe bien de cette façon. Vous savez, c’est exceptionnel d’avoir deux guggenmusik au Val-de-Travers. Dans le canton de Neuchâtel, il n’en reste plus que deux autres, à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds. Pourtant, la période Covid ne nous a pas épargnés. Nous n’avons eu droit à aucune aide et nous avons dû nous débrouiller seuls, comme des grands. Les Britchons ont survécu notamment en trouvant des arrangements de paiement avec le propriétaire de notre local d’entraînement, situé à Couvet. Contrairement à d’autres guggens, qui se regroupent uniquement en période de carnaval, nous jouons ensemble chaque semaine. Cette régularité permet une bonne symbiose et une meilleure facilité d’apprentissage des nouveaux sons. Cette façon de faire nous va bien.
Bientôt du Lady Gaga chez les Britchons ?
Comme on l’a vu à travers cette nouvelle mission, le processus de création est important dans la vie de certaines guggens comme les Britchons. Avec le temps, les membres du comité de création ont acquis une belle expérience en la matière. Mais cela permet-il de tout faire et d’adapter n’importe quel son existant, comme du Lady Gaga par exemple ? « Malheureusement non ! Il y a beaucoup de faux amis, c’est-à-dire des titres très rythmés qui ne donnent pas du tout le même rendu à la ‹ façon guggen ›. Lady Gaga en est un exemple parfait car nous avions voulu adapter l’un de ses morceaux. Mais il y avait 15 à 18 fois la même note et nous ne pouvions pas créer assez de variations de rythme. Du coup, on l’a laissé tomber », évoque David. À l’inverse, il arrive que la guggen reprenne des anciens morceaux qu’elle avait laissé tomber, juste le temps d’une soirée, parce que l’ambiance s’y prête particulièrement. « Il faut savoir sentir les choses. J’aime m’imprégner d’un lieu et de gens qui nous entourent à tel moment pour jouer tel morceau plutôt qu’un autre. Être dans une guggen, c’est avant tout avoir le plaisir de partager », s’ambiance Cyril, sous-directeur de la société (le directeur est Patrick). « Il y a différents moments au cours d’un carnaval. Il faut parfois jouer des choses très familiales puis faire des choses plus endiablées plus la soirée avance. » Et gare aux excès au sein des Britchons : « Cela n’arrive pas chez nous mais je serais d’avis de laisser rentrer la personne par ses propres moyens si elle devait ne plus être apte à jouer après avoir trop bu », sabre le sous-directeur…