Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission: faire la lumière sur l’histoire du bâtiment « Chez Pélichet »
Renseignements sur l’objectif : lieu mythique, patron non hostile à ma venue
Localisation de l’objectif : Couvet – Date : juin 2023
Observations du terrain : lieu facilement localisable. Mais prévoir beaucoup de temps de recherche pour éplucher les archives
Le 10 avril 1937 ouvrait le magasin de vêtements « Chez Otto », du nom de son fondateur Otto Stauber. C’est dans le bâtiment de la Grand’Rue 22 que le grand-père de Patrick Pélichet a lancé cette entreprise familiale. Son papa, Ernest Pélichet, changea le nom du commerce en « Chez Pélichet » lors de l’année 1962. C’est le 1er octobre 1991 que Patrick hérita à son tour de l’affaire avec son épouse Françoise. Après 32 ans de service, il s’apprête à tirer la prise le 31 octobre prochain. Faute de descendant et de successeur, ce lieu mythique du Val-de-Travers verra probablement son histoire évoluer. Depuis qu’elle a été construite, en 1640, cette bâtisse a su traverser les époques en se métamorphosant et en devenant même un lieu de « contrebande » durant la guerre. Enquête !
14 marches jusqu’au travail
Depuis que la nouvelle du départ de Patrick Pélichet s’est ébruitée dans le Val-de-Travers, son magasin est littéralement pris d’assaut. « Ce sera probablement une de mes toutes belles années commerciales. Les gens font des stocks », s’amuse-t-il. En revanche, aucun repreneur ne se profile à l’horizon. Pourtant, cet endroit possède un atout indéniable : « J’ai mon appartement juste au-dessus. Le matin, je me réveille, j’ai 14 marches à descendre et je suis au boulot. » Même quand il se douche il ne perd pas de temps car sa cabine se trouve… à côté de ces fameuses 14 marches. « Je devais faire une salle de bains mais je ne suis jamais allé au bout de ce projet », dit-il avec l’œil rieur.
De l’ouvrier jusqu’au directeur
En revanche, Patrick Pélichet a le ferme sentiment d’être allé au bout des choses professionnellement. « Je n’ai pas de formation et je travaillais à l’usine avant que je ne demande à mon papa s’il était d’accord que je travaille avec lui. C’est lui qui m’a tout appris et qui m’a fait aimer ce travail au magasin. Depuis que j’ai repris l’affaire en 1991, j’ai suivi une ligne de conduite claire. Je voulais garder le charme d’époque du lieu tout en faisant évoluer les articles que l’on proposait. Ma femme me disait toujours qu’il faut suivre la tendance pour durer dans ce domaine d’activité. Elle avait raison. J’aurai poursuivi l’histoire 32 ans de plus. Je peux dire que j’ai fait mes années et que je mérite ma retraite, merde ! » Sa retraite, Patrick ira la vivre loin du Val-de-Travers. Il s’en ira rejoindre son amie du côté de Lausanne à la fin de l’année. Bien qu’il n’y ait actuellement pas de repreneur pour le magasin, la maison sera normalement prochainement vendue à une acheteuse. Ce sera à elle de décider si elle maintient ou non un espace commercial au rez-de-chaussée de la Grand’Rue 22. « L’une de mes fiertés restera d’avoir habillé aussi bien l’ouvrier que le directeur durant toutes ces années. » Le lieu se voulait sympa et ouvert, comme son patron !
L’annonce originale parue dans le Courrier lors de l’ouverture du magasin, le 10 avril 1937. Les pubs dans le Courrier ont toujours été un moyen de se démarquer par le soin apporté à l’esthétique ou l’humour des annonces.
La partie du mur porteur qui a été abattue pour agrandir le magasin.
Patrick Pélichet, dans son bureau, au cœur du magasin.
Le bâtiment de la Grand’Rue 22. Une bâtisse qui a un certain cachet !
Trop petit ? Empiétons chez le voisin !
Le magasin a connu son âge d’or avec la première génération (Otto Stauber et son épouse Frida). Arrivé à un certain volume de ventes, l’espace commercial du bâtiment de la Grand’Rue 22 s’est tout à coup révélé trop étroit. Le grand-père de Patrick va alors lorgner sur le territoire du voisin. « C’était un certain Monsieur Duval qui était actif dans le secteur de l’absinthe. Mon grand-papa lui a dit qu’il avait besoin de place et qu’il lui prendrait bien un bout de sa maison. Je ne suis pas sûr qu’il s’attendait vraiment à sa réponse. » Duval rétorqua : « Eh bien soit, on abat une partie du mur porteur entre les deux maisons et je te cède la partie du bas de chez moi. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Voilà le magasin de vêtements largement agrandi et prêt à faire face à toutes ses commandes. Dans le même coup, Otto Stauber faisait encore tomber le mur donnant sur la rue passante afin d’y faire bâtir une nouvelle vitrine. Clin d’œil de l’histoire : des années plus tard, c’est à travers les décorations de ces mêmes vitrines que Patrick a su faire parler de lui à chaque nouvelle saison !
La baignoire dans... la cuisine !
Particularité extraordinaire du bâtiment de la Grand’Rue 22, l’appartement de l’étage avait une configuration un peu spéciale à l’époque. Les parents de Patrick faisaient avec une baignoire qui donnait directement dans la cuisine ! « C’était assez incongru mais cela avait l’avantage de me permettre de me laver tout en regardant ma maman faire la cuisine. » Aujourd’hui, sa cuisine se trouve au rez-de-chaussée, au même niveau que le magasin. Il y reçoit donc régulièrement des clients pour boire le café.
Quand la guerre s’invite...
Quoi qu’il arrive, ce sera la fin d’une histoire en octobre prochain. Mais ce bâtiment construit en 1640 en a vu d’autres. C’était d’abord une ancienne ferme avec ses écuries. Un orifice dans le mur renvoie directement à cette époque où on y déposait une boîte d’allumettes. Elle était utilisée lorsqu’une vache vêlait en pleine nuit et qu’il fallait aller s’y affairer à la bougie. Puis, c’est devenu une épicerie où on y vendait de tout, avant que la saga Otto/Pélichet ne commence en 1937. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le grand-père de Patrick a fait une partie de sa renommée en contournant un peu le système de rationnement mis en place. « Les gens recevaient un certain nombre de coupons pour pouvoir s’habiller. Mais beaucoup n’en avaient pas assez pour le faire. Mon grand-papa faisait donc discrètement entrer les clients par l’arrière pour leur vendre des vêtements en douce. » Plus tard, son père se distingua notamment à travers les annonces publicitaires remplies d’humour qu’il faisait paraître dans le Courrier. En parlant du Courrier, j’y rentre car la mission est validée avec succès ! Cet article s’autodétruira dans quelques semaines, dans quelques mois ou dans quelques années. Tout dépend dans quelles mains il tombera !