Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission : mettre la main sur le « roi de l’évasion »
Renseignements sur l’objectif : de son vrai nom Maurice Rochat. Qualifié d’insaisissable par beaucoup
Localisation de l’objectif et date : Couvet – novembre 2024
Observations du terrain : l’homme est aujourd’hui âgé de 88 ans. Il s’est rangé des affaires et coule des jours paisibles dans une chaise roulante
Maurice Rochat n’a pas eu une vie comme les autres. Ce dur au mal est un ancien maçon qui a honoré son service militaire dans les troupes sanitaires. Plus tard, il a également été infirmier chez Dubied avant de travailler dans les hôpitaux de Couvet et de Fleurier. Est-ce son besoin de prendre soin des autres qui l’a poussé un jour à avoir envie d’évasion ? Penchons-nous sur son cas ! Cette évasion, il l’a principalement trouvée à travers le sport, n’hésitant pas à se frotter à son premier marathon à l’âge de… 60 ans. Mais avant d’atteindre ce cap, l’homme avait déjà beaucoup couru, comme le témoignent ses huit participations aux 100 kilomètres de Bienne notamment. Maurice a couru, oui, mais il a aussi parcouru le monde. De la Muraille de Chine au sommet du Kilimandjaro, le roi de l’évasion a goûté à la liberté par monts et par vaux, sans jamais se ménager. Et même si Maurice Rochat n’est pas encore en bout de course, le temps a quand même fini par le rattraper…
Une lutte perpétuelle avec la vie
Lorsque je trouve la trace de Maurice Rochat, dans sa petite maison de Couvet, il est assis dans son fauteuil roulant, invariablement soutenu et entouré par son épouse Noelette (ils sont liés depuis 40 ans). À ma question quel âge avez-vous, l’homme semble un peu embarrassé à première vue. « Je suis né le 23 mars 1936, je vous laisse faire le calcul tout seul, débrouillez-vous. » Rectification, Maurice n’était pas embarrassé, il préparait simplement cette petite taquinerie. Cet état d’esprit positif l’aide à surmonter la maladie. L’homme semble parfois lutter pour trouver ses mots et ses souvenirs, enfouis dans une jungle de traces cumulées depuis 88 ans. « Lutter, il sait faire ça », reprend son épouse en évoquant ce quotidien chamboulé depuis une petite dizaine d’années. « Il a toujours été amené à devoir lutter avec la vie. Il y a quelques années déjà, ses médecins pensaient qu’il ne pourrait plus remarcher à la suite d’une inflammation de la moelle épinière (myélite) mais il a toujours refusé de s’arrêter. » S’arrêter, c’est mourir, dit-on ! Alors pourquoi s’arrêter ? Maurice Rochat était tellement plein de vie qu’il ne pouvait pas s’y résoudre. Il a alors trouvé la force de vivre de nouveaux périples sportifs, après avoir été mis totalement sur la touche durant un an. En fin de compte, c’est son bas du corps qui a abandonné en premier avec une absence totale de sensibilité dans les membres.
Les 4 tendons de la main sectionnés
Mais Maurice en a vu d’autres dans sa vie. Instantanément, il me parle des accidents auxquels il a dû faire face lorsqu’il était infirmier chez Dubied, dans les années 1970. « Je traitais aussi bien les petits bobos que les grandes blessures. Quand les uns n’étaient pas percutés par les contrepoids des machines, les autres se faisaient couper des doigts. Je me souviens d’un ouvrier qui s’est fait sectionner net les quatre tendons d’une main. » On comprend son envie d’évasion maintenant… Blague à part, Maurice a quitté Dubied après la grosse grève de l’entreprise. Celui qui fait toujours les choses à fond a pris sa retraite à l’âge de 68 ans, à la clinique de la Tour où il officiait ! Il n’était apparemment pas très pressé de franchir l’arche d’arrivée professionnelle. Sportivement, c’est sur un deux-roues qu’il a commencé à s’essouffler. « Je faisais énormément de vélo. Je faisais partie d’un club en Suisse allemande et tout le monde m’aimait bien. En fait, ils voulaient tous me parler pour apprendre le français », rigole-t-il à ne plus pouvoir s’en récupérer. Et lui dans tout ça ? Il n’a même pas pris le temps d’apprendre la langue. Pas plus qu’il ne pipe un mot d’anglais d’ailleurs. « Cela ne l’a pas empêché de parcourir le monde », soulève justement Noelette.
« Je rentre dans une heure » qu’il disait !
Il faut préciser que Maurice Rochat partait toujours seul à l’aventure. Pour des raisons financières mais sans doute aussi un peu pour mieux jouir de cet esprit d’évasion qui le caractérise.
« Il ne restait jamais à la maison très longtemps », se rappelle son épouse. « Quand il pouvait encore le faire, il mettait quelques affaires dans un sac et il partait se perdre quelque part, dans la nature. Il aimait particulièrement partir dans les Alpes, à Bettmeralp. Et s’il sortait près de la maison, il me promettait qu’il serait de retour dans une heure. Ce n’était jamais le cas bien sûr. » S’il ne peut plus le faire aujourd’hui, c’est sa petite-fille Audrey Virgilio qui semble avoir repris le flambeau. N’a-t-elle pas gagné le Swiss Canyon Trail chez les femmes en 2023 ? Une de ses filles, Cosette a, quant à elle, hérité de Maurice l’envie irrépressible de prendre soin des autres. « Elle est droguiste et elle soigne par les plantes. » Le roi de l’évasion a d’abord pris soin d’autrui avant de penser à lui. Et rien que pour cela, il mérite largement sa « remise en liberté ». Allez, mission accomplie ! Je rentre au Courrier. Cet article s’autodétruira lorsque votre envie d’évasion apparaîtra…
Kevin Vaucher
La Question à ne pas poser
Vous avez dompté les 5895 mètres d’altitude du Kilimandjaro, quel sentiment avez-vous aujourd’hui, solidement ancré au fond d’une chaise roulante ? « Je me dis que j’ai fait ma part d’aventures et que je mérite bien un peu de repos. Le sport et les expéditions ont rempli une partie de ma vie. Maintenant, je fais avec ma santé et je cherche à m’évader autrement. J’ai la chance d’avoir une lectrice qui vient au moins une fois par semaine me faire la lecture. Je lis les nouvelles d’ici dans le Courrier et je lis aussi celles d’ailleurs, notamment à travers des livres. Les défis du quotidien ne sont plus les mêmes mais cela me procure aussi du plaisir. Un plaisir différent mais toujours aussi bon. »
Un coma que les médecins pensaient fatal
Le BCN Tour, Sierre-Zinal, les 100 kilomètres de Bienne, le défi du Val-de-Travers ou encore le marathon de New York dans les années 2000. Maurice Rochat a varié les styles et les plaisirs durant son parcours de coureur. Il a aussi varié les sports. Maurice n’était nulle part ailleurs aussi à l’aise que dans les Alpes bernoises et valaisannes. C’est là qu’il s’est entraîné avant d’aller grimper sur les 5895 mètres du Kilimandjaro. « Mon oncle Samuel m’avait souvent parlé de ce sommet et de son mythique glacier qui trône sur les hauteurs d’Afrique de l’est. J’avais promis à ma femme que j’irais le dompter un jour. » Ce fut chose faite en 1996. « Je ne peux plus vous en parler en détail aujourd’hui mais je sais encore que c’était un moment extraordinaire, vécu pour mes 60 ans. » Ses besoins de soins fréquents ne lui permettent plus de réaliser de tels exploits sportifs aujourd’hui mais l’homme de 88 ans arrive encore à surprendre son monde. En 2021, c’est une autre montagne qu’il a eu à surmonter : le Covid. Ce face-à-face l’a conduit directement dans le coma. Les médecins ont alors appelé sa femme Noelette pour lui demander de venir faire ses derniers adieux. « Nous étions à son chevet avec le pasteur. Pour lui, Maurice allait nous quitter dans les minutes à venir. Mais lorsque le pasteur a entamé la dernière prière, il a ouvert grand les yeux et il est revenu à nous. Pour moi, c’est un véritable miracle et une bénédiction en même temps. » La grande évasion attendra encore un peu, sacré Maurice !