Sur les traces des trésors cachés du Val−de−Travers
Type de mission : courir sur les traces d’une drôle de « bête »
Renseignements sur l’objectif : on le surnomme l’Hulktramarathonien du Vallon
Localisation de l’objectif et date : Noiraigue, décembre 2024
Observations du terrain : l’homme n’est pas facile à attraper. Il a beau avoir 65 ans sur le dos, il court sans arrêt d’un bout à l’autre du monde. Il va falloir s’équiper de bonnes chaussures pour le suivre
Samedi 7 décembre, Ploeren, dans le Morbihan. Il est 20 h 50 lorsque Christian Fatton franchit la barre symbolique des 7000 kilomètres parcourus en compétitions depuis le début d’année 2024. C’est la 11e personne seulement à franchir un pareil cap selon les statistiques officielles du DUV qui recense plus de 9 millions de résultats d’ultra-marathons. Que fait le coureur de Noiraigue pour fêter ça ? Il continue à courir évidemment. « Je pensais déjà aux prochaines courses que j’ai encore à faire d’ici au 31 décembre. J’ambitionne d’atteindre au moins les 7500 bornes sur 12 mois », rapporte l’incorrigible et insatiable Vallonnier. Pour votre culture générale, sachez que le record absolu est détenu par Andrea Marcato (41 ans) et ses 8800 kilomètres. Et dire que tout a démarré pour Christian Fatton à partir d’une vieille circulaire scolaire chiffonnée…
Nul en technique mais ultra résistant en endurance
Cette circulaire, c’était celle des ACO (Activités complémentaires à option) que Christian devait faire signer à ses parents lorsqu’il avait 14 ans. « Je n’étais pas très sportif et pas du tout motivé à l’idée de m’inscrire à ces ACO. Ce bout de papier était en boule au fond de mon sac d’école », se souvient-il avec amusement. Pour son papa François, grand coureur dans l’âme, c’est tout vu. Son fils fera de l’athlétisme. Et alors ? « Alors j’étais très mauvais dans les disciplines techniques mais toujours devant dans les courses de fond. Je me suis pris au jeu et je courais 15 bornes en une heure à l’âge de 15 ans. » Au départ, il s’est inscrit à beaucoup de courses de côtes, remportant plusieurs classiques du genre en Valais. À 19 ans, il devient champion d’Europe juniors des courses de montagne. En 1987, il obtient la meilleure marque cantonale de l’époque sur marathon avec ses 2 h 31 au compteur. Plus tard, en 2008, il a presque 40 ans lorsqu’il prend part au championnat du monde des 24 heures à Séoul. Il y termine en huitième position grâce à près de 250 bornes avalées. Ado et jeune adulte, ses semaines d’entraînement dépassent souvent les 150 kilomètres. Mais il a connu un gros coup d’arrêt à 30 ans. Une polyarthrite rhumatoïde l’éloigne des pavés durant… huit ans !
Souvent sur les routes, Christian Fatton vit à Noiraigue lorsqu’il se pose un moment.
« Mes os se déformaient comme des bougies trop près du radiateur »
« Cela a été difficile à vivre. Mes os se déformaient sous la puissance de la maladie. Ma tête de fémur gauche a fondu comme une bougie posée trop près du radiateur. » Plus jeune déjà, à 21 ans, il avait été opéré à un genou. Ce qui lui a laissé quelques séquelles. « Je peux difficilement lever le pied droit. Ce qui se répercute sur ma foulée qui me pousse assez souvent à la chute. » Pourquoi a-t-il donc repris du service après tant d’années passées sur la touche ? « Les douleurs se sont tempérées et je me suis laissé retenter. » Il en redemandait et il en a eu pour son grade. Après son retour sur les routes et les sentiers, il n’a presque jamais totalisé moins de 6000 bornes par année, entraînements et compétitions confondus. Comment en est-il si sûr ? En notant toutes ses sorties sur des carnets de route, soigneusement conservés au fil des ans. « Je suis monté jusqu’à 10’000 kilomètres en douze mois, en comptant mes entraînements. Cette année, j’ai dépassé les 7000 bornes uniquement en compétitions. C’est encore plus satisfaisant pour moi. Savoir que nous sommes à peine plus de dix sportifs à avoir réussi cette performance est assez dingue. »
4500 bornes courues en 64 jours, bienvenue à la TransEurope
Il a tant vu de choses et tant parcouru le monde Christian. Il a participé à tant de courses et il a parcouru tant de kilomètres. Bref, il a vu tant de montagnes de difficultés devant lui qu’on peine presque à lui demander de choisir celle qui lui a laissé le souvenir le plus marquant. Mais il faut choisir, alors laquelle choisissez-vous Christian ? « La compétition qui m’a procuré le plus d’émotions est sans conteste la ‹ TransEurope › en 2009. Du sud de l’Italie jusqu’au Cap Nord, j’avais couru presque 4500 kilomètres en 64 jours, avec le passage des Alpes en prime. Tu dors mal, tu manges mal et tu récupères mal. Bref, tu te fais mal chaque jour. Et en plus, j’avais eu plusieurs blessures en cours de route. » Après le premier mois d’effort, le taux de graisse du coureur de Noiraigue était si bas qu’il était indécelable pour les médecins de la course. Sur les 64 partants au départ, 41 ont rallié l’arrivée. Évidemment, l’Hulktramarathonien faisait partie de ceux-là (17e position). Mission accomplie, comme pour moi aujourd’hui ! Je rentre au Courrier. Cet article s’autodétruira la prochaine fois que vous partirez de chez vous baskets de course aux pieds.
Kevin Vaucher
La Question à ne pas poser
Que répondez-vous à ceux qui vous prennent pour un cinglé ? « D’abord je tiens à dire que cela arrive souvent (il rigole). Vous savez, tout dépend de la personne qui le dit finalement. Parfois, c’est juste un couillon qui n’y connaît rien et qui me juge à la va-vite. Mais souvent, ces remarques me font plaisir car j’arrive à percevoir du respect voire une forme d’admiration dans ces mots. Avant, je considérais aussi que ces gens qui couraient autant étaient complètement malades. Et maintenant je suis au milieu d’eux. Tout évolue. Et le plus drôle dans tout ça, c’est que même ceux que je considérais comme des malades me disent aujourd’hui que je suis fou. Venant d’eux, c’est un grand honneur d’entendre ça. »
Depuis Berne, il rentre du boulot jusqu’à Noiraigue !
Comme vous avez pu le découvrir, Christian Fatton a participé à de plus en plus de compétitions ces dernières années. L’âge ne semble pas soulager son irrépressible envie de courir. Pour pouvoir récupérer, il s’entraîne forcément moins qu’à une certaine époque. Du coup, son épouse Julia, également mordue par l’obsession des kilomètres, court le plus souvent seule dans les alentours du village de Noiraigue. Le couple ne se croise pas seulement au détour d’une chambre, dans la maison familiale, mais aussi en forêt. « Il nous arrive de nous croiser quand je descends et quand elle monte dans une pente près de chez nous ou inversement. » Juste le temps d’un « salut chérie » et chacun poursuit son chemin plus loin. Certains y verraient volontiers une dérive du « trop de sport ». La réalité est toute autre. La course à pied a toujours été une composante intégrante de leur vie de couple et de leur vie quotidienne. Le retraité a longtemps travaillé à la Banque nationale à Berne. Connaissez-vous la distance entre Noiraigue et Berne ? Environ 70 bornes. Pourquoi je vous dis ça ? Car Christian est revenu plusieurs fois en courant depuis la capitale, après le boulot, lorsqu’il préparait de longues courses d’ultra. « Mon meilleur temps a été fait après un apéro. Je passais par les petites routes entre Mühleberg, Chiètres, Thielle, Marin et le Val-de-Travers. J’avais mis 6 h 09 pour rentrer chez moi. » Vous voulez son secret ? Une bière et deux wienerlis !