Conte : Quelle imagination, Jules !
Elle l’aime bien son mari, Édith. Même si, parfois, elle passerait volontiers Jules par la fenêtre… d’ailleurs, pour éviter toute tentation, ils habitent un rez-de-chaussée… prudence !
C’est que Jules est un farceur, mais aussi un maladroit de première. Édith croyait avoir tout vu et tout entendu (pensez : 50 ans d’union !), surtout depuis le jour où il avait placé le chat dans le berceau et sa petite-fille dans le panier de l’animal… la fillette avec le grelot et minet avec le bavoir ! Tout était bien allé jusqu’à l’arrivée inattendue de Solange, fille adorée et mère intransigeante, qui avait trouvé l’épisode saumâtre… surtout lorsque Jules, croyant se justifier, avait bêtement dit : « Après tout, un bac à sable ça les amuse tous les deux… ». Les bonnes relations fille-père avaient pris des allures de banquise durant trois semaines… et le dégel fut précautionneux… Il est vrai que minou avait lacéré ce truc qui l’étranglait à moitié, et bébé avait une magnifique fourrure de 2e main, inégale et volatile !
Et voilà que Jules refaisait des siennes : devant ses petits-enfants ébahis, et à portée d’oreille de sa chère et tendre, voilà qu’il annonçait bravement que, si le Père Noël ne livrait pas les cadeaux en personne cette année, c’est qu’il était gravement empêché…
…il aurait été pincé en état d’ivresse alors qu’il menait son attelage au travers du firmament (firpapa, cela n’existe pas ? Ah bon… dommage…) et, auparavant, il avait brûlé une étoile rouge à un carrefour, coupé la priorité à une comète et manqué renverser un ange qui attendait prudemment sur un nuage de pouvoir traverser la Voie lactée en toute quiétude, mais pas en toute sécurité parce qu’il était en dehors des constellations (nos « clous» terrestres, selon Jules !). Il y aurait, à son encontre, également de graves soupçons : Père Noël ne se serait jamais (mais oui, jamais) acquitté des droits de douane en passant ses cadeaux de pays en pays et de continent en continent… Le traîneau à salade venait de le cueillir pour le conduire au tribunal : avec un peu de chance, il pourrait purger sa peine en Laponie… avec un bracelet électronique à la cheville…
Édith soupire : quelle imagination ! Et ce n’est pas parce que l’élastique de la fausse barbe avait cédé au mauvais moment que Jules pouvait se permettre de lâcher devant les enfants une bordée de jurons, qui plus est en oubliant de modifier sa voix… démasqué, le pauvre vieux !
« Et alors, a dit une toute petite voix, c’est le Bon Dieu qui va le juger ? »
Alors Édith est venue à l’aide de son vieux comique de mari : elle a pris le gamin sur ses genoux et lui a expliqué que oui, mais que l’avocat de la défense c’était l’enfant Jesus lui-même, et donc que tout irait bien. Il y eut alors comme un rire cristallin venant de la crèche… et l’âne se mit à tousser, comme Jules quand, parfois, il se prenait à rire de ses propres bêtises…
Sylvain Moser, Les Verrières