Crise sanitaire Covid-19
Thierry Michel aux manettes !
Chef de l’état-major cantonal de conduite – EMCC lui-même issu de ORCCAN « Organisation de gestion de crise et de catastrophe du canton de Neuchâtel » –, le Vallonnier Thierry Michel a la lourde et délicate mission de conduire les opérations liées à la pandémie – sous l’autorité du Conseil d’État –, depuis leur déclenchement au mois de janvier. L’ancien conseiller communal, aujourd’hui chef du service de la sécurité civile et militaire, a accepté de faire un point de la situation pour le Courrier du Val-de-Travers !
Dans le cadre du plan ORCCAN – Organisation de gestion de crise et de catastrophe du canton de Neuchâtel –, l’état-major cantonal de conduite – EMCC – a pour missions premières d’identifier et analyser les dangers et les risques et, parmi ceux-ci, d’identifier ceux pouvant menacer la population. La pandémie qui frappe la planète actuellement entre de plein fouet dans ce registre.
À quelle date l’état-major cantonal de conduite a-t-il été mis sur pied ?
En temps normal, l’état-major réduit (EMR) est un organe de veille qui se réunit une dizaine de fois par année pour procéder à des analyses de risque et assurer le suivi des projets dans la gestion de crise. Il réunit des représentants de la police, des sapeurs-pompiers, de la santé publique, de la protection civile, de l’armée et de certains services techniques. Lorsqu’un événement survient et que les moyens ordinaires ne suffisent pas pour le gérer, un EMCC est constitué par les principaux services impactés. Sa composition s’adapte dès lors à la situation et à son évolution.
L’entrée en crise s’est déroulée de manière progressive. Depuis la mi-janvier, le médecin cantonal suivait chaque jour l’évolution de la maladie en Chine. Le 29 janvier 2020, il m’a contacté pour m’informer de la situation. Nous avons décidé d’activer préventivement un état-major cantonal de conduite (EMCC) qui s’est réuni pour la première fois le lendemain. Nous nous sommes réunis deux fois par semaine dans un premier temps pour suivre l’évolution de la situation et prendre les premières mesures. Alors que l’Europe était épargnée, les événements se sont précipités le 25 février avec deux foyers épidémiques qui ont éclaté en Italie du Nord : nous savons dès ce moment-là que ce n’est qu’une question de jours avant que nous ne soyons également touchés. Le rythme de conduite de nos rapports de situation est alors devenu quasi quotidien.
Au début de la crise, l’EMCC était composé de 5 personnes. Il a été étoffé avec des représentants de la santé publique, du RHNe, des ambulances, de la protection civile, du service de la consommation, de la police et de l’armée. Des spécialistes de la communication et des infrastructures critiques en sont également membres, de même que les communes qui se sont regroupées en quatre organes de conduite régionaux (OCRg) dont chacun est représenté. Enfin, une délégation du Conseil d’État y siège régulièrement. Avec le personnel d’encadrement chargé notamment de l’aide à la conduite, du suivi de la situation et de la recherche de renseignements, ce sont 22 personnes qui œuvrent au sein de l’EMCC pour conduire et coordonner l’opération au niveau cantonal. Cela ne tient pas compte des cellules de crise qui sont « au front » pour conduire les actions dans un secteur donné, notamment au sein du RHNe, du service de la santé publique ou dans les régions.
Thierry Michel, décrivez-nous les axes et missions immédiatement privilégiés !
L’action de l’EMCC s’est inscrite, dès le début de la crise, dans deux axes stratégiques : éviter la saturation de notre système de santé d’une part, garantir la continuité des entreprises critiques et des services de l’État et des communes qui fournissent des prestations essentielles à la protection de la population. Toutes les décisions prises ont eu pour but de répondre directement ou indirectement à l’un de ces deux axes stratégiques. Outre le suivi permanent de l’évolution de la situation, les premières mesures ont consisté à tester les personnes ayant des symptômes de la maladie afin de les isoler à domicile si elles sont positives et, après une enquête d’entourage, placer en quarantaine les personnes ayant été en contact proche. Les aspects liés à la communication ont également été au centre de nos préoccupations afin d’informer et sensibiliser la population. Depuis lors, ce sont de nombreuses mesures qui ont été prises, allant des demandes d’appui à la protection civile et à l’armée, en passant par la mise en place de centres de tri.
La période la plus délicate jusqu’à ce jour ?
Une crise est émaillée de nombreuses phases délicates et celle-ci n’échappe pas à la règle. La soudaine et forte accélération de l’épidémie après l’apparition des foyers épidémiques dans le Nord de l’Italie et dans l’Est de la France n’ont plus permis d’assurer la traçabilité systématique de toutes les personnes atteintes au-delà du 5 mars.
L’annonce de la fermeture des frontières a également été un moment particulièrement sensible vu la forte composante frontalière du personnel hospitalier. L’hypothèse selon laquelle ce dernier ne puisse plus traverser la frontière représentait une menace systémique pour l’ensemble de la structure hospitalière. En quelques heures, nous avons délivré des macarons permettant un passage facilité de la frontière pour le personnel médical et soignant, avec des possibilités d’hébergement en Suisse si nécessaire… La situation reste tendue dans certains EMS qui sont actuellement les principales institutions à subir la pression du Covid-19. Pour cette raison, nous avons rapidement engagé la PCi pour des missions d’assistance et nous avons également sollicité l’armée pour soutenir le personnel soignant.
Le canton de Neuchâtel était-il préparé à vivre une telle crise ?
Une crise est généralement imprévisible, raison pour laquelle nous devons faire preuve d’humilité dans ce domaine. Ceci dit, notre état-major de crise est exercé, ses membres se connaissent et se réunissent régulièrement. Il a été alarmé dès que la situation en Chine a commencé à ne plus être sous contrôle. Des plans de coordination en cas de pandémie existaient, de même que des plans de continuité, et ils ont pu être rapidement activés. Le RHNe a fait preuve d’une impressionnante flexibilité en parvenant à augmenter drastiquement le nombre de lits en soins aigus, ce qui a permis d’amortir le choc. Les centres de tri mis en place, gérés par NOMAD, ainsi que les soins à domicile ont été au centre du dispositif sanitaire et ont permis de ne pas surcharger la structure hospitalière.
Quels sont, aujourd’hui et selon vous, les dangers potentiels de ce début de période de déconfinement ?
Le plus gros risque du déconfinement serait que le nombre de cas reparte à la hausse. Le cas échéant, il serait nécessaire de revenir sur des mesures de confinement strictes. Il serait regrettable que la précieuse compréhension et patience dont a fait preuve la population jusqu’à aujourd’hui ne porte pas ses fruits. Nous ne réussirons le déconfinement qu’avec le concours de chacun.