Dans le rétro…viseur
Nous sommes des survivants
Natifs des années 30-40, donc aujourdʼhui octogénaires, voire plus… nous sommes des survivants. Suit un inventaire à la Prévert :
Nous sommes nés avant la télévision, les antibiotiques, les vaccins anti-polio, les surgelés, le yogourt, lʼexpresso, les pizzerias, les pampers, les mouchoirs en papier, le plastique, les verres de contact, les centrales nucléaires, les autoroutes, les vidéos, les cartes de crédit, avant les lave-vaisselle et lave-linge, lʼair conditionné, lʼinformatique, la robotique, lʼAVS, lʼinternet et les réseaux sociaux, etc… Même privés de tout ce que je viens de vous énumérer, nous avons survécu !
Enfants, il nous arrivait dʼêtre malades. Première urgence, attendre que ça passe ! Une angine ? Des compresses de vinaigre autour du cou. Une bronchite ? Frictions avec du Baume tranquille ou de la pommade camphrée. Un orgelet ? De la mie de pain trempée dans du lait appliquée sur lʼœil faisait lʼaffaire. Constipés ? Une rasade dʼhuile de ricin ! Le Dr Bolle, au fond de lʼallée, à Fleurier, la pharmacie Delavy étaient quasiment lʼéquivalent de lʼorganisation actuelle des hôpitaux neuchâtelois, voire mieux, qui nous obligent à faire du tourisme médical, à cause de la dispersion des sites, ce qui nous complique singulièrement la vie ! Nostalgie… quand je pense à lʼhôpital de Fleurier et sa véranda de 8 à 10 lits ! Ce serait un scandale aujourdʼhui !
Dʼailleurs, nous étions en bonne santé, lʼécole y veillait : grâce à la cuillère dʼhuile de foie de morue journalière, un mauvais moment à passer, nous avons survécu !
à notre époque, on ne parlait pas de profs ou dʼenseignants, on était plus poli que ça, on disait : « la Steudler, la Rose et Bornoz » ! Je ne sais pas comment les volées suivantes désignaient leurs instituteurs.
On nʼavait pas de cartable, encore moins de portable, pas de stylo à bille, mais un sac dʼécole ou une serviette qui contenaient une ardoise, une touche, un cahier, un crayon et… Mimi rit ! Je suis sûre que vous avez tous en mémoire « Médor mord Simone… Le serpent siffle… David est malade » etc. Un matériel qui a fait ses preuves. Quand on rentrait de lʼécole, on ne faisait pas ses devoirs, mais ses tâches, sur la table de la cuisine, entre le potager et la caisse à bois !
Dans nos maisons, on nʼavait pas de poubelle ni de déchets encombrants à débarrasser, mais on avait le seau à balayures et celui des relavures.
Comment aurions-nous pu imaginer, pendant notre scolarité, que la charmante petite gare de Saint-Sulpice occupée par la famille Coulot ferait place à une gigantesque déchetterie ?
Nos pères ne travaillaient pas chez Swisscom ou dans une multinationale, mais chez Dubied, à la Pâte, au Ciment ou à lʼétabli ! Ils ne payaient pas de cotisations à lʼAVS ni à une quelconque caisse-maladie, mais plutôt à lʼécho de la Chaîne ou à la fanfare lʼUnion ! Nos mères ne travaillaient pas en dehors du foyer ; évidemment, elles ne rapportaient rien ! Nous pouvons leur rendre un vibrant hommage pour ce quʼelles nous ont apporté pendant notre enfance.
Quand elles étaient tristes, on ne disait pas quʼelles avaient des états dʼâme, (ce terme nʼexistait pas) on disait plutôt quʼelles ruminaient ou quʼelles avaient les bleus !
Nos parents ne connaissaient pas le sida, ni le viagra (ce nʼétait pas nécessaire… les soirées nʼétaient pas occupées par la télé). Si la pilule avait existé… la moitié dʼentre nous ne serait pas là !
On ne passait pas de tests à lʼécole, mais habillés du dimanche, on passait des examens pour savoir si on allait être promu, sous lʼœil de lʼinspecteur !
Nous avions un excellent concierge au collège, pas un technicien de surface ! Le père Tombez qui, accompagné de sa femme, nous préparaient un bol de lait chaud, en hiver. Ils veillaient à ce que les classes soient ripolinées à la rentrée des grandes vacances. Je sens encore la bonne odeur de lʼencaustique.
Natifs des années 30-40, nous étions là avant les mamans de jour, les centres thérapeutiques, les assistants sociaux, les MacDo, et surtout, nous ne connaissions pas le stress, ce fléau des temps modernes.
Bonté divine ! Comment avons-nous pu survivre à tous ces changements ? De plus, un nouveau vocabulaire nous est imposé aujourdʼhui par les médias : des mots anglais toutes les deux phrases et depuis peu des mots arabes : Daech, djihadistes, sunnites, chiites, niqab, burqa, burkini !!! à y perdre son latin !
Il nʼest dès lors pas étonnant que nous soyons, nous les survivants, parfois dans la confusion et que le fossé entre générations sʼélargisse un tant soit peu.
Finalement, je me dis que si nous sommes arrivés à lʼâge avancé qui est le nôtre, cʼest grâce à… lʼhuile de foie de morue.
Pour conclure, je souhaite que lors de notre prochaine rencontre, nous soyons encore parmi les survivants !
Alice Jacot-Descombes, Fleurier/Le Locle, le 8 septembre 2016