École Jean-Jacques Rousseau
10e et 11e confrontés au génocide rwandais
Dans le cadre de la semaine neuchâteloise d’actions contre le racisme, les élèves de 10e et 11e années de l’École Jean-Jacques Rousseau ont assisté, vendredi dernier, à une conférence sur le génocide des Tutsis au Rwanda. Les témoignages de Blandine Karebwayire, rescapée du génocide et du conseiller d’État, Alain Ribaux, ancien juge au Tribunal pénal international pour le Rwanda, ont marqué l’auditoire.
Comment le génocide rwandais de 1994 a-t-il pu se dérouler et quels ont été les moteurs d’une haine ethnique sans précédent ? Telles étaient deux des nombreuses questions abordées, vendredi dernier, par la conférence proposée par le service de la cohésion multiculturelle et l’association Génie-citoyen aux élèves de 10e et 11e années de l’École Jean-Jacques Rousseau, dans le cadre de la semaine neuchâteloise contre le racisme. « Cette conférence est une chance de rencontrer des personnes qui ont été témoins de ces événements », a estimé David Hamel, codirecteur du Cercle scolaire du Val-de-Travers, en soulignant que la démarche tenait du devoir de mémoire.
Oratrice et orateur de cette conférence, Blandine Karebwayire est une rescapée du génocide des Tutsis par les Hutus, et Alain Ribaux, actuel conseiller d’État neuchâtelois, a officié comme enquêteur pour le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de 1995 à 1996. En préambule, Alain Ribaux a relevé que l’interrogation sur l’appartenance de la terre sur laquelle on vit est souvent récurrente, avant de rappeler que la vision de la « Suisse comme terre d’immigration » est récente, il y a un peu plus d’un siècle cela était l’inverse. Puis, il a questionné l’auditoire : « Qu’est-ce qu’un génocide ? » Un élève répond : « Des meurtres pour éliminer systématiquement une race ou une ethnie ». à un ou deux éléments près, il s’agit de la définition juridique.
100 jours de haine
L’ancien enquêteur pour le TPIR a aussi tenu à expliquer le contexte rwandais en 1994, un pouvoir de l’ethnie majoritaire hutu qui se sent menacé par des rebelles tutsis repliés en Ouganda, ainsi qu’un climat de rivalité ethnique depuis quelques années. Lorsque le 6 avril l’avion du président rwandais Habyarimana est détruit par un missile, le pouvoir va dénoncer et appeler au meurtre de « l’ennemi tutsi de l’intérieur ». « Désigner l’autre comme l’ennemi est un ressort du racisme pour renforcer son pouvoir », a jugé Alain Ribaux, en détaillant le fort usage de la propagande dans les médias pour inciter à tuer « y compris » ses voisins. Il faudra attendre trois mois pour que l’intervention internationale mette fin aux massacres.
« En 100 jours, on estime que 500’000 à 1 million de personnes ont étés tuées », a relevé Alain Ribaux, avec gravité. Selon lui, le génocide déclenché début avril est d’une telle « échelle » qu’il devait avoir été organisé et programmé au préalable. Réunir les preuves de l’implication des dirigeants dans ce génocide était justement la mission des enquêteurs du TPIR en 1995. Avec émotion, Alain Ribaux a relaté deux témoignages de rescapés marquants parmi tous ceux recueillis lors de ses investigations. Des récits qui disent crûment toute l’horreur et la violence déployées par des gens et même des enfants fanatisés. « Par sa manipulation de l’opinion et des foules, cet ethnicisme peut faire écho aux actes nazis à partir de 1933 », a estimé Alain Ribaux, en concluant que « l’idée est d’apprendre de l’histoire ».
Rescapée de la « folie meurtrière »
Le récit de Blandine Karebwayire, onze ans en 1994, fut extrêmement émouvant, les élèves, de quelques années plus âgés, pouvant s’identifier à l’histoire tragique et à la fois miraculeuse de cette rescapée du génocide. Résident avec sa famille dans une province épargnée au début par les meurtres et les massacres, Blandine Karebwayire ne perçoit pas vraiment la menace. « En tant qu’enfant, je n’avais pas cette peur qui habitait mes parents », reconnaît-elle aujourd’hui. Néanmoins, la situation politique de sa province change après une dizaine de jours et leur foyer est attaqué. L’enfant de onze ans parvient à se cacher sous le lit, puis à fuir à travers champs, poursuivie par un groupe d’hommes, qui la rattrape finalement et lui assène un coup de machette.
Laissée pour morte, elle est recueillie par une voisine qui soigne sa blessure, mais cette dernière sait que le répit ne durera pas et que les Hutus reviendront exterminer sa famille. « Dans ce génocide, c’est comme si quelque chose d’inhumain s’était installé », a relevé Blandine Karebwayire, en soulignant notamment la « folie meurtrière » souvent alimentée par les drogues et l’alcool. Un peu miraculeusement, Blandine Karebwayire est confiée par sa voisine à Odette, une Hutu, épouse d’un major de l’armée avant que des tueurs ne reviennent. « Elle m’a fait passer toutes les barrières de check-point pour sauver ma vie en prenant tous les risques au péril de la sienne », avoue-t-elle, reconnaissante. La suite sera six mois dans un camp de réfugiés en République démocratique du Congo avant d’immigrer vers la Suisse où son oncle et sa tante vivaient déjà.
« Il suffit de peu »
Lors de la partie réservée aux questions, une élève du cercle scolaire a demandé si Blandine Karebwayire ressentait de la colère ? La rescapée a reconnu avoir été au début habitée par la haine, mais qu’avec les années, elle a travaillé de plus en plus sur elle-même. D’ailleurs, elle a souligné qu’aujourd’hui un climat de pardon s’était établi entre les deux ethnies, malgré encore de la présence d’extrémistes hutus. Comme Karebwayire le dit « il suffit de peu pour devenir cette personne qui tue son voisin » avant de s’interroger, si Hutu, elle n’aurait pas agi de la même manière. « Le racisme ne s’exprime pas seulement entre couleurs différentes, on peut se ressembler, parler la même langue, partager une histoire et se haïr ! », a-t-elle conclu avec force.
Gabriel Risold