Entraide
Une histoire sans faim
Si toute bonne chose a une fin alors on aimerait bien parfois que les moins bonnes en aient une aussi. C’est le cas de la misère et de la détresse. Deux plaies qui se sont encore infectées ces derniers mois à cause du coronavirus. Heureusement, certains résistants s’engagent encore pour accompagner les laissés-pour-compte confrontés à la faim, à la solitude et à l’ignorance. Ce n’est pas un script de mauvais film mais un bon shot de réalité.
Et oui, l’histoire que je vais vous raconter est bien réelle. Olivier, un informaticien de gestion d’une quarantaine d’années et sa femme Virginie en sont les héros. Eux sont loin de se considérer comme tels et c’est notamment pour cela qu’ils le sont. Ils habitent sur les hauteurs du Locle mais leur champ d’action est beaucoup plus vaste. Il va du Val-de-Travers, au Val-de-Ruz en passant par les Montagnes neuchâteloises. Leur super pouvoir n’a rien de surhumain à la base, il est fait de bienveillance, d’entraide et de dévouement. Tout le monde est donc susceptible de l’utiliser. Ce qui le rend puissant, c’est simplement qu’encore trop peu s’en servent. Pour notre couple en question, tout commence par un coup du sort apparemment banal.
Proposer un nouveau levier de soutien
Ce point de bascule, c’est une opération de l’épaule qui se passe mal, l’attente d’une réponse de l’assurance invalidité (AI) depuis plusieurs années et un service social qui n’entre pas en ligne de compte « car son cas ne rentrerait pas dans les cases ». Ce combat individuel s’est transformé en combat collectif depuis l’arrivée du coronavirus. À l’aise dans la gestion des réseaux sociaux et déjà très active dans diverses causes bénévoles jusque-là, elle a vu dans cette pandémie une nouvelle occasion de s’engager pour les autres. Un constat tout aussi valable pour son mari qui a toujours cherché à combattre l’injustice et les inégalités. Le combat personnel du couple n’est toujours pas terminé à ce jour et pourtant il s’emploie sur plusieurs fronts pour les autres.
Ils ont d’abord créé un site d’entraide pour les PME (aidepme.ch).
Ensuite, on a lancé quelque chose de similaire pour les restaurants avant de développer notre projet d’aide alimentaire existant. L’idée est de compléter ce qui existe déjà. Plus on offre de leviers de soutien, plus les gens dans le besoin sont susceptibles d’en activer au moins un,
souligne Olivier. Suivant un peu le même principe que « Le Panier Solidaire » du Val-de-Travers, ils ont installé une caissette – un caddie revisité – devant chez eux. Lancée en 2019, l’opération a pour but de recueillir les dons de nourriture et de produits de première nécessité des bonnes âmes de la région.
Bien plus qu’une simple aide alimentaire
Nous avons aussi essayé de diffuser plus largement notre groupe Facebook pour faire connaître notre initiative.
Il s’agit d’ « Aide alimentaire – Caissette Le Locle » qui est directement liée à « Aide alimentaire Romandie ».
Au cours des premiers mois de 2019, les gens s’abonnaient de plus en plus mais il n’y avait aucun don concret.
Tenace, Virginie – actuellement hospitalisée pour une nouvelle opération – a multiplié les efforts pour que l’initiative décolle enfin.
Finalement, on a aidé une première famille à Buttes puis une autre à Couvet puis une dame du Locle qui faisait la manche et ainsi de suite. Le réseau s’est mis en place petit à petit.
Pour répondre aux demandes (plusieurs dizaines), Olivier ajoute donc progressivement quelques lignes à sa liste de course personnelle afin de garnir des sacs à provisions de plus en plus nombreux.
Le bouche à oreille aidant, des donateurs plus ou moins réguliers se sont aussi manifestés.
Un paquet de pâtes, un sachet de carottes, un jouet ou encore un tube de shampoing, tout est utile.
Les demandes d’assistance se font sur le groupe Facebook d’aide alimentaire romande et sont ensuite dispatchées en fonction du lieu de l’intervention.
On récolte ce dont la personne a besoin on lui apporte. Souvent, ces personnes sont dans le besoin sont dans une grande solitude et ce contact direct est tout aussi important socialement que l’aide en elle-même.
Le paradoxe, c’est que ces personnes ont toutes les peines du monde à se manifester par honte ou par peur du jugement des autres.
Loyer payé mais rien à manger
Prenez l’exemple de cette dame qui n’osait demander de l’aide dans le Vallon, de peur d’être jugée. Le boulanger de La Brévine, qui nous soutien beaucoup, lui a proposé de venir chercher de la nourriture dans l’arrière-boutique en dehors des heures d’ouverture. Au fil des semaines, une relation de confiance s’est nouée et ils sont désormais amis.
Comme lui, d’autres commerçants de la région apportent leur pierre à l’édifice mais cela reste encore très (trop) peu fréquent.
Il arrive aussi que des « aidés » deviennent « aidant » à leur tour en nous donnant des coups de main ponctuels.
Des exemples comme ça, il y en a à la pelle.
Je pourrais vous parler de cette mère de famille malade et de ses trois enfants qui a reçu un mois 60 francs des sociaux pour vivre. On peut aussi mentionner cette famille nombreuse qui a un petit dernier de trois mois pour lequel elle n’arrive pas à acheter des couches.
Ou encore cette trentenaire, signalée par un de ses soignants car elle ne peut plus se nourrir après avoir payé ses factures « en bonne Suissesse.
Je l’ai rencontrée, elle reste digne bien que vraiment très amaigrie. Elle n’a plus de force et n’ose pas sortir de chez elle. C’est ici que ça se passe, pas dans un pays en guerre ou sous-développé mais chez nous… en Suisse !
Et on ne parle pas d’alcooliques, de drogués ou de personnes désaxées comme les clichés massivement répandus peuvent le laisser croire. Il n’y a aucune morale à cette histoire – dans tous les sens du terme d’ailleurs – mais il est bon de saisir que la chute guette tout le monde. Peu importe son statut social, son métier ou son origine.
Tout peut aller très vite, un licenciement, un accident ou un divorce qui tourne mal et voilà que l’engrenage se met en marche. Le loyer, les crédits et les abonnements ne s’arrêtent pas du jour au lendemain,
explique Olivier.
Un tirage au sort pour attribuer l’aide (!)
Le coronavirus a malheureusement précipité la culbute de plusieurs personnes dans la région.
Au point que des associations doivent procéder à des tirages au sort pour savoir qui pouvait bénéficier d’aide tel jour car il n’y en avait pas pour tout le monde. C’est pour le moins légèrement dégradant.
Dans ce contexte, des initiatives de résistance comme « Le Panier Solidaire », les « Free Go » ou l’ « Aide Alimentaire Romande » deviennent des éléments de survie.
Avant la crise Covid, la Caissette du Locle recevait 1 à 2 demandes par mois pour des aides ponctuelles, rien en comparaison de ce qui se passe actuellement. Il y a parfois des familles à aider pour le mois entier.
Le système social suisse est-il vraiment l’un des meilleurs du monde comme on aime à nous le présenter si souvent ?
s’interroge l’homme de cœur.
Le filet social est peut-être large mais ceux qui passent entre les mailles sont allègrement laissés en dehors du système.
Et en contrebas, la détresse qui en résulte éclate chaque jour au visage de vaillants volontaires comme Olivier et Virginie qui auront bien mérité leur titre de héros de l’histoire…
Kevin Vaucher