Métiers à cœur ouvert !
Le mot différence n’est pas un gros mot et les différences ne sont pas faites pour être cachées. Depuis six ans, l’atelier Fil à Couvet l’a parfaitement compris et lutte quotidiennement contre les discriminations. Samedi soir, l’association a organisé un défilé de mode gothique pour que puisse déambuler toutes différences aux yeux du public. Avant cela, une exposition de portraits de personnes victimes du regard des autres ainsi qu’une table ronde sur la mobilité et la migration dans le Val-de-Travers ont été organisées. Et ça valait le coup d’œil !
Après le défilé de mode gothique, la directrice de l’atelier Fil Marie-France Oberbeck avait un énorme sourire. D’abord parce qu’un concert hard rock du groupe vallonnier Möle allait permettre de finir la soirée en beauté mais aussi et surtout en raison de la foule venue en nombre dès 17 h du côté de la Pension Beauregard.
Difficile de chiffrer exactement l’affluence tellement il y a eu de mouvements mais on ne pouvait espérer mieux.
Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu une excellente interaction avec les spectateurs durant la table ronde et qu’il a fallu ajouter des chaises pour les « suiveurs » du défilé. En préambule, l’expo photos-portraits de Cécile Clémence a également suscité une vague de réactions positives. Le concept était limpide : douze portraits de personnes victimes de discrimination. Certaines visibles, d’autres non. Aux visiteurs de les capter et de les comprendre. S’ils séchaient, ils soulevaient alors une cache où une explication détaillée de chaque situation était exposée.
Mannequins d’un soir et personnes momentanément en difficulté
Vous voyez ce jeune fromager en photo, qu’est-ce qu’il fait au milieu des autres portraits selon vous ?
Bonne question de la photographe professionnelle Cécile Clémence. Honnêtement, rien n’indique qu’il soit victime d’une discrimination. Cependant… Silvain a 18 ans et ce fils d’agriculteur a vécu un calvaire à l’école secondaire de Fleurier. Harcèlement, coups et même affaires scolaires brûlées, le jeune homme doit sa survie à la parole qu’il a su libérer avant de craquer. Des cas comme celui de Silvain, il y en avait une bonne dizaine à découvrir. Couleur de peau, look, orientation sexuelle ou handicap, les prétextes au rejet de l’autre se déclinent sous plusieurs formes.
C’est pourquoi nous avons mis à l’honneur ce thème du vivre ensemble et que le défilé était d’inspiration gothique,
explique Marie-France Oberbeck.
C’est Alex Matile, lui-même victime d’homophobie, qui a pris la responsabilité d’organiser cette sympathique parade avec l’appui des deux couturières de l’atelier Fil. L’une d’entre elles a d’ailleurs aussi participé à la déambulation devant les spectateurs aux côtés de sept personnes actuellement placées sous la responsabilité de l’association à but non lucratif.
Tous les costumes qu’ils portaient lors de leurs deux passages ont été élaborés par leurs soins. Ils les ont dessinés puis ils les ont cousus spécialement pour cette soirée. Ils se sont aussi maquillés et grimés pour coller intégralement au thème gothique.
Pour ces mannequins d’un soir placés par l’aide sociale, l’AI, le service de l’immigration ou le service de la cohésion multiculturelle, c’était une échéance importante.
Personnellement, je préfère parler de personnes momentanément en difficulté en quête de réinsertion professionnelle.
La tolérance, un acte de puissance personnelle
Derrière ce défilé aux allures ludiques, il y a beaucoup de travail et d’investissement et ça leur permet de se rapprocher du marché de l’emploi.
C’est toute la force de l’atelier Fil, faire avancer et progresser des individus en rupture vers un but de façon détournée et légère. Au jour le jour, la blanchisserie du Val et la boutique de seconde main s’y prêtent merveilleusement bien aussi. Et cette soirée défilé avait déjà été mise sur pied deux fois auparavant mais sur des thématiques différentes davantage liées à l’ethnicité.
On voulait vraiment privilégier le vivre ensemble cette année et je crois qu’on ne s’est pas trompé.
Cela permet de rappeler que la tolérance est une preuve de puissance incroyable puisque ça signifie que les autres, dans leur diversité et leur pluralité, ne nous font pas peur. Or, c’est souvent la peur de l’autre qui pousse à discriminer. Rejeter est plus facile qu’essayer de comprendre. La table ronde sur la mobilité et l’immigration au Val-de-Travers l’a bien démontré.
Les intervenants n’ont pas fait dans la rondeur et se sont exprimés avec sincérité sur ces sujets.
C’était très instructif car quelqu’un est venu parler du cas des frontaliers qui sont perçus comme des profiteurs par certains. Des Vallonniers de longue date ont aussi pris la parole pour évoquer l’évolution de ces réalités dans la région. Le rôle des politiques, notamment le fait d’adapter l’offre des infrastructures (crèches,…) à ces évolutions, a été traité grâce à l’expertise d’Amanda Ioset.
Et en sa qualité d’ancienne Genevoise arrivée au Val-de-Travers il y a 24 ans, la directrice a également participé au débat en parlant d’intégration.
Ma perspective était davantage sociale qu’économique et c’était bien de toucher à plusieurs facettes en même temps.
À la fin de cette soirée qui marquait aussi les festivités d’Halloween, les costumes ont pu être retirés. Mais les différences comme la couleur de peau ou un handicap ne peuvent pas se laisser au vestiaire. Alors à nous de les effacer dans les regards et dans les têtes sans se défiler.
Kevin Vaucher