Grogne paysanne: qu’en est-il en Suisse?
En France, la grogne des agriculteurs a pris de l’ampleur ces dernières semaines devant les conditions de travail toujours plus précaires du métier. Trop c’est trop, des milliers de tracteurs sont donc montés sur Paris en guise de révolte. Quelle est la situation en Suisse ? Le pays est-il à l’abri d’un pareil soulèvement ? Nous sommes allé à la rencontre d’un agriculteur vallonnier pour faire un état général de la situation. Et c’est inquiétant !
« À titre personnel, je suis solidaire avec les actions des agriculteurs français. Une bonne partie des paysans suisses sont aussi de plus en plus asphyxiés de tous les côtés. Les normes, les marges prises par les intermédiaires et les lourdeurs administratives sont quelques problèmes parmi d’autres », détaille Florian Dreyer. L’agriculteur est comme posé au fond d’un cercueil et il voit chaque jour quelqu’un d’autre venir enfoncer un clou sur le couvercle. Forcément, au bout d’un moment, il suffoque…
Des clous sur un cercueil
« Le parallèle est fort mais disons qu’il y a du vrai dans cette image. Dans la profession, le salaire moyen est de 17 francs de l’heure. Nous sommes bien loin du salaire minimum mais nous sommes considérés comme des indépendants et nous ne pouvons rien y faire. Il faut simplement que l’on nous rémunère au juste coût de nos produits. » Aujourd’hui, les marges ne vont pas forcément où elles devraient aller. « Les industriels et les transformateurs se partagent l’essentiel du gâteau. Personnellement, je suis producteur de lait et je constate chaque jour que ceux qui nous l’achètent veulent le beurre, l’argent du beurre et la crémière comme on dit. »
65 à 70 centimes par litre de lait
Le discours est un peu direct mais il est sincère, comme le sont traditionnellement les agriculteurs. Florian Dreyer continue : « Nous ne savons jamais à quel tarif notre lait va être acheté car nous ne sommes par rémunérés au litre mais au taux de matières grasses. » Plus il est gras, plus il sera rentable. « Le producteur reçoit entre 65 et 70 centimes pour un litre de lait constitué de 4.1% de matières grasses et de 3.2% de protéines. » Regardez à quel prix il est revendu dans votre supermarché et vous comprendrez mieux le problème des marges. Le paysan de Boveresse s’occupe de 65 vaches laitières et d’un domaine de 90 hectares.
L’exemple du colza
En fait, elles sont deux familles à travailler sur ce terrain. « Cela permet de faire des économies en partageant nos machines », précise-t-il. La question des infrastructures est l’une des grosses contraintes du métier. « Nous avons construit un nouveau bâtiment en 2006 mais il n’est déjà plus aux normes. Elles évoluent tous les 4 ans et nous obligent constamment à nous adapter si nous voulons effectuer des travaux. » Ce qui ajoute du stress dans une activité qui n’en manque déjà pas. « Nous devons constamment nous ajuster par rapport au marché. Il manquait de colza il y a deux ans. Alors nous avons planté du colza et il nous a été justement payé la première année. Puis ils ont décidé de diminuer notre part de 15% l’année suivante sans que cette baisse ne soit répercutée en supermarché. Nous voyons bien que les agriculteurs et les clients sont toujours les dindons de la farce quoi qu’il arrive. »
La course aux labels
La multiplication des labels entraîne aussi son lot de soucis. « C’est beaucoup d’obligations à respecter pour un retour sur investissement minime », dit-il. Pourquoi le faire alors ? « Pour l’argument commercial bien sûr. Ne pas avoir de label est difficile aujourd’hui face à la concurrence. » Certains labels se méritent en suant à grosses gouttes. C’est le cas pour celui qui impose que les vaches sortent au moins 23 jours par mois en extérieur. « Le compte est vite fait, cela laisse à peine les dimanches de congé. Et encore ! Sans compter qu’il n’y a pas que le bétail. Nous avons aussi beaucoup de documents à remplir et 20 hectares de cultures à entretenir sur notre domaine. » Finalement, les agriculteurs doivent aussi faire avec l’insistance toujours plus forte des questions environnementales.
Écologie et agriculture, un bon ménage ?
Pourtant vous semblez de prime abord dans le même camp, celui de la nature, non ? « Exactement, nous aimons la nature par dessus tout car c’est notre vie. Malheureusement, nous avons parfois l’impression que les paysans sont responsables de tous les maux de la terre à écouter certains discours écologiques. Chez nous, 98% de ce que nos vaches mangent est produit sur notre exploitation. » Résultat de l’équation : il y avait 110’000 exploitations agricoles en 1976 en Suisse. Il en restait moins de 40’000 en 2020. Il y a des grognements qui en disent long…
Kevin Vaucher