J-3 avant un verdict attendu
Rares sont les votations à susciter autant de tension et de scission dans la population que celles des deux initiatives phytosanitaires. Deux blocs s’opposent et cela risque de se jouer à très peu de chose ce dimanche. Devant l’enjeu de ces votes, nous faisons un dernier point calmement entre un partisan du double oui et un soutien du double non.
À ma gauche on trouve Damien Reichen, le président de la Fédération neuchâteloise des pêcheurs en rivière (FNPR). Cet enseignant et biologiste a notamment fait un travail de Master sur les écrevisses européennes. à ma droite se tient Frédy Bigler, gérant de l’Office commercial du groupe Landi entre 1983 et 2013. Deux personnes calées sur les sujets à débattre, à savoir l’eau potable propre et les pesticides. Place d’abord à la défense du NON :
Eau propre, ce titre n’a rien à voir avec le texte sur lequel il porte. Moi aussi je veux de l’eau propre évidemment. Le sujet est ailleurs,
pour Frédy Bigler.
Concrètement, le texte prévoit la suppression des paiements directs pour ceux qui utilisent des produits phytosanitaires, l’obligation de nourrir exclusivement les animaux avec le fourrage produit sur l’exploitation et le bannissement de l’utilisation préventive d’antibiotiques. Ce qui est déjà le cas en Suisse depuis des années. Très utile !
« Ne pas revenir au 20e siècle »
Les chambres fédérales ont d’ailleurs nettement refusé cette initiative, rappelle l’ancien gérant avant de poursuivre :
Un OUI engendrerait une diminution de la production alimentaire de 30% en Suisse, une augmentation des coûts de 35% et la disparition de milliers d’emplois. La sécurité d’approvisionnement national et la qualité des aliments importés sont aussi deux choses qui seraient touchées frontalement. En 1960, je ramassais les pommes de terre avec mon grand-père et il m’a expliqué un jour quelque chose d’intéressant. Les orages et les fortes chaleurs de mi-juillet à mi-août amenaient le mildiou (un champignon tenace) et cela l’empêchait de manger à sa faim tellement il y avait de perte avant que les productions ne soient traitées. Pour limiter la casse, on fermait les écoles durant quinze jours début juin et les élèves venaient ramasser les doryphores (un coléoptère ravageur). Il s’agit aujourd’hui de ne pas revenir au 20e siècle.
Si tel devait être le cas, le partisan du NON craint une issue similaire à ce qui s’est passé avec la betterave sucrière l’an dernier.
À savoir une diminution de 3000 hectares sur la récolte 2021 à la suite de l’interdiction en Suisse d’un produit de traitement des jeunes pousses.
Concernant les pesticides justement, il reproche aux initiants de vouloir imposer une façon d’acheter (le bio) au lieu de laisser libre choix au consommateur.
Ceci, en plus d’augmenter les nuisances pour la planète en poussant au tourisme d’achat et aux importations massives donc à la production inutile de CO2. Et pour ce sujet aussi, les chambres fédérales ont rejeté cette 2e initiative. En 2016, la Confédération a fait analyser l’eau du Rhin à Bâle et elle a relevé que 61% des polluants provenaient des ménages et de l’industrie (64.8 tonnes). 19% étaient des médicaments et 19 autres pour cent étaient des additifs alimentaires. Seul 1% de la pollution venait des pesticides (900 kilos).
« 70% des Suisses pissent dans le Rhin »
Des arguments qui agacent le défenseur du OUI Damien Reichen.
C’est toujours les mêmes rengaines alors que toutes les études que j’ai en ma possession disent le contraire. Je tiens à préciser que je comprends l’inquiétude du monde agricole. C’est inconfortable pour eux car ils ont déjà fait des efforts mais cela ne s’est traduit par aucune amélioration concrète dans les faits. Pire, la biodiversité est en chute libre, la santé humaine se détériore sans arrêt et l’espérance de vie tend à diminuer, même avant le Covid. On ne vit pas beaucoup moins longtemps mais durant dix à vingt ans avec des maladies chroniques donc il y a quand même un souci quelque part.
Voilà pour le préambule.
Et concernant les eaux du Rhin ?
Je m’exprime en tant que président de la FNPR et je peux vous dire qu’ils ont choisi le seul fleuve particulier de Suisse. Excusez-moi de l’expression mais 70% des Suisses pissent dans le Rhin donc cela explique pourquoi le taux attribué aux ménages est si haut. C’est loin d’être comme ça ailleurs mais ça reflète bien la campagne du 2x non qui est basée sur la peur. De notre côté, nous basons notre argumentation sur des études scientifiques qui prouvent plusieurs choses. à savoir, la nocivité des pesticides et leurs effets néfastes sur la biodiversité, les cours d’eau, les poissons mais plus encore, sur la santé humaine. Baisse de la fertilité, augmentation des cancers, endométriose, etc. Le champ d’action des pesticides de synthèse est vaste et l’inquiétude des médecins grandissante.
Faut-il changer le mode de consommation par des lois ?
Le biologiste insiste sur le fait que la production nationale des agriculteurs ne baissera pas de moitié si les initiatives passent. Il existe des alternatives aux pesticides et la diminution ne devrait pas excéder 15%, selon lui.
Dire que la production va s’écrouler est un gros mensonge de nos opposants tout comme le fait de dire que cela va péjorer l’emploi. Au contraire, il y aura même besoin de plus de main-d’œuvre pour veiller davantage sur les récoltes et limiter les pertes. En plus, on voit que les exploitations bio emploient plus de personnel que les exploitations standards en moyenne. Quant aux prix qui augmentent c’est vers Coop et Migros qu’il faut se tourner. Ils s’en mettent plein les poches au détriment des paysans suisses. C’est un changement de société qu’il faut, le consommateur doit changer de mentalité maintenant !
Au-delà des études mises en avant d’un côté comme de l’autre, c’est peut-être bien ça LA grande question sous-jacente de ces deux initiatives : les habitudes de consommation des Suisses changent-elles suffisamment vite ou faut-il influencer l’offre pour faire changer la demande des consommateurs ? Cette réflexion peut aussi englober le rôle prédominant des géants de l’agroalimentaire. Leur rôle est-il néfaste de par leur influence sur l’alimentation de la population et la rémunération des agriculteurs du pays ? Chacun a donné « ses coups » sous forme d’arguments, décompte des points dans quelques heures !
Kevin Vaucher