Kevin Rumley
Agir par la caméra
Le 21 mai dernier, deux activistes climatiques défrayaient la chronique romande en entamant une grève de la faim contre les décisions juridiques au sujet des militants de la zone à défendre (ZAD) de la colline de Mormont. Un cinéaste originaire du Val-de-Travers, Kevin Rumley, était en première ligne pour suivre ces activistes, filmer et relater leurs histoires. Rencontre.
À son arrivée, Kevin Rumley est détendu, même si le cinéaste, originaire du Vallon, privilégie probablement être derrière la caméra et non sous la lumière. Justement, son objectif, il a choisi de le pointer sur l’une des figures de la lutte pour le climat : la jeune Howey Ou, âgée de 18 ans. Celle que l’on surnomme « la Greta Thunberg chinoise » avait entamé avec d’autres activistes une grève de la faim le 21 mai en protestation contre les condamnations envers les zadistes de la zone à défendre de la colline de Mormont. Un acte fort et extrême qui durera finalement douze jours et auquel le cinéaste originaire du Val-de-Travers a consacré une série documentaire, quatre épisodes de 14 minutes et un cinquième sous la forme d’un long métrage, s’intitulant « Génération sacrifiée ».
Ce qui me fascine, c’est le recours à une grève de la faim pour se faire entendre, choisir la souffrance pour être considéré,
explique-t-il, lui qui a aussi, en soutien, jeûné pendant 24 heures. Quelle est l’origine de cette tendance au sacrifice pour une cause ? Telle est la question essentielle à laquelle veut répondre cette série.
Une rencontre forte
Si Kevin Rumley avoue être concerné par la question du climat et faire attention à ce qu’il consomme, il reconnaît ne pas être un activiste.
Je me suis rendu à des manifestations, mais sans aller au-delà,
ajoute l’actuel habitant de Valangin. Le point de départ du projet est un peu paradoxal : un mandat pour un documentaire tout autre que la série réalisée par Kevin Rumley. Il y a quelques mois, une société de production, Love Entertainment, fait appel à lui car elle recherche un cinéaste suisse pour suivre Howey Ou. Le cinéaste de 37 ans décide d’aller à la rencontre de la jeune militante. Celle-ci le marque fortement.
Le premier contact fut étrange. Dans un premier temps, il y avait de la méfiance, elle me posait beaucoup de questions,
raconte-t-il. Malgré cette première réunion de près de sept heures, l’activiste de 18 ans craint une déformation de son histoire et refuse l’idée du projet de la société de production.
Toutefois, la personnalité et la détermination rare d’Howey et de ses compagnons de lutte, Robin, Jacob et Jérôme, convainquent Kevin Rumley de s’intéresser à leurs histoires et leurs idées, sans le soutien de Love Entertainement. Pour gagner progressivement leur confiance, le natif du Val-de-Travers décide de les aider et de s’investir à leurs côtés.
J’ai mis à leur disposition un peu de matériel par exemple,
évoque-t-il. Au début, Kevin Rumley les côtoie sans sa caméra pour prouver que sa présence va au-delà d’un documentaire.
Ce n’est qu’au moment de mon jeûne que la caméra fut acceptée,
se rappelle-t-il. Une fois le lien établit, le cinéaste a pu promener son regard pour cerner l’humanité et tenter de comprendre les moteurs de chacun des grévistes.
Les activistes sont devenus des amis,
avoue-t-il, en ajoutant que l’expérience fut l’une des plus folles de sa vie et qu’elle restera gravée en lui.
« Cinéactiviste »
Les sujets de société sont centraux dans les documentaires de Kevin Rumley et la cause climatique en est un. Son objectif fondamental est de raconter de réelles histoires.
Plus que simplement apporter de l’information, je souhaite amener de l’émotion,
explique-t-il. Le cinéaste est convaincu qu’il n’y a que trop peu de documentaires engagés. Ils permettent la compréhension du monde, tout en déconstruisant les idées préconçues. Raconter l’histoire du militantisme est ainsi sa manière de contribuer, de faire de l’activisme.
Je pensais être un médiactiviste, mais le terme ne me plaît pas,
dit-il, après réflexion. Le cinéma étant avant tout la narration d’une histoire, Kevin Rumley se définirait plutôt par le terme de « cinéactiviste ».
Le premier épisode de la série documentaire a été diffusé gratuitement sur la chaîne Facebook de Mr. Mondialisation. Depuis le 1er juillet, les épisodes suivants sont disponibles sur la plateforme Doc’it Yourself, une société de production romande collective, pendant un mois. L’ultime épisode, long métrage centré sur Howey Ou, sera proposé au festival de films documentaires Visions du Réel.
Une sélection à Visions du Réel permettrait de toucher un autre public et d’avoir une autre résonance,
détaille Kevin Rumley. Également, le cinéaste réfléchit à l’idée de projection ou d’information au public durant cet été. Des rencontres pour parler du film, en débattre et surtout provoquer la réflexion.
Gabriel Risold