La Brévine en mode hibernatus
Vendredi en fin de matinée, l’effervescence régnait du côté de l’Hôtel-de-Ville de La Brévine où l’on s’apprêtait à faire fondre 66 ans d’attente. En présence du conseiller d’état Alain Ribaux et après des dizaines d’années restées dans la tiédeur de l’ombre, des œuvres « oubliées » de l’artiste peintre neuchâtelois Lermite ont refait surface. Ces imposantes toiles avaient été créées pour la pièce de théâtre « Le Solitaire des Sagnes » jouée aux Bayards en 1955. Ces cinq éléments de décors sont actuellement restaurés par Anouk Gehrig qui en a déjà terminé un qui a été présenté en exclusivité il y a quelques jours. Un travail chaudement accueilli.
Une bonne soixantaine d’heures de travail, c’est le temps qu’il aura fallu à la restauratrice Anouk Gehrig pour restaurer le premier élément de décor intitulé « La cabane dans les marais ». Une toile réalisée par Lermite à la suite de son séjour à La Brévine entre 1946 et 1954. Pour ceux qui ne le savent pas, Lermite est un pseudonyme utilisé par Jean-Pierre Schmid. Ce peintre est né le 2 janvier 1920 au Locle et est décédé le 1… janvier 1977 aux Bayards. Soit presque 57 ans jour pour jour plus tard. On reconnaît bien là, l’esprit de Lermite qui aimait les choses « carrées ». Ne se distinguait-il pas dans son travail par une géométrisation des formes et une purification des lignes au-dessus de la moyenne ? Poser la question c’est déjà y répondre. Alors posons une seconde question : comment a-t-on pu perdre de vue ses œuvres qui sont restées « gelées » de longues années durant ?
Don de 10’000 francs et « Calvaire brévinien »
C’est simple ! Depuis sa mort, c’est le couple d’amis du peintre Jeannette et feu Jacques-André Steudler qui conservait précieusement ces pièces. Et comme elles ne figurent pas dans le catalogue raisonné de l’artiste établi en 1987, personne n’est parti à leur recherche. Jusqu’à ce que Madame Steudler (89 ans) décide de donner gracieusement ces créations à l’Association Décors de théâtre de Lermite pour leur restauration et leur valorisation.
Je voulais qu’elles soient dépoussiérées pour que tous les Neuchâtelois puissent en profiter pleinement. Je le fais au nom de la mémoire de son travail et au nom de l’amitié qui me liait moi et mon mari avec lui,
précise-t-elle. Un acte qui a profondément réjoui le conseiller d’état Alain Ribaux, en charge de la culture.
C’est un beau geste qui permet de conserver dans le canton un patrimoine qui le mérite. Et je vous l’annonce en exclusivité ce vendredi, l’état est très heureux de participer à cette opération de sauvegarde en faisant un don de 10’000 francs. Cela me permet de venir en parler à La Brévine en étant très bien accueilli,
s’est-il amusé au moment de prendre la parole. Puis la salle a fait place à un peu plus d’émotions avec les mots de Jean-Daniel Oppliger. Ce solide gaillard a parlé avec son cœur et ses tripes évoquant une passion pour la peinture partagée avec sa maman. Ce restaurateur brévinier – d’abord au Loup Blanc puis à l’Hôtel-de-Ville – a été le grand détonateur de ce projet. En 2017, il avait exposé l’œuvre de Lermite « Le calvaire brévinien (1949) » dans son établissement.
« Leur finalité a évolué avec leur valorisation »
À cette occasion, l’idée de sortir de l’ombre les décors de théâtre de l’artiste a émergé de la relation entre Jean-Daniel Oppliger et Madame Steudler. Des renforts se sont peu à peu agrégés au projet qui n’a cessé d’avancer. Actuellement, on est au cœur du processus avec la fin de la restauration de la première « toile décorative ». La deuxième est déjà entre les mains de la restauratrice Anouk Gehrig et de ses aides parmi lesquelles Alice Gauthier de la Haute école des arts de Berne. Elle nous explique la complexité de la tâche :
Il s’agit de grandes toiles qui font quatre mètres sur deux mètres cinquante et il faut donc un support sur mesure pour pouvoir travailler avec soin et sécurité. Si on entre un peu plus dans la technique, le gros problème vient de l’oxydation qui a fait écailler la peinture qui se détache. Il ne s’agit pas de retoucher toutes les usures mais de se focaliser sur les plus importantes pour que le tout « se tienne mieux ».
En plus des retouches d’usures, il a fallu procéder à un dépoussiérage et à un nettoyage à sec recto verso. Un refixage des pigments par imprégnation a ensuite été effectué avec aplanissement des plis. Une atténuation des déchirures, des auréoles ainsi que des taches visibles sur la toile a également été nécessaire. Finalement, un renforcement des bords en vue d’une présentation à la verticale a scellé le travail de restauration.
C’est peut-être bien, ici, le principal changement. Ces réalisations étaient à la base quelque chose de très fonctionnel puisqu’elles servaient de décors de théâtre. Or, il s’agit désormais davantage d’œuvres d’art dont la fonction première sera d’être observées. Leur finalité a évolué avec leur valorisation.
Les cinq toiles devraient être terminées en janvier-février 2022 et elles seront cédées à la Fondation Lermite qui s’assurera de leur rayonnement culturel. Rafraîchissant !
Kevin Vaucher