La décrépitude d’un mythe !
Le 14 novembre 1975, le tunnel de la Clusette était ouvert pour la première fois à la circulation. Un jour de gloire pour le Vallon après près de trois ans et demi de travaux, des années de galères routières pour relier le Littoral et un long combat pour sa réalisation. Après tant dʼeffort et de sueur, il était là, ce mythe devenu réalité pour tous les Vallonniers. Quarante-sept ans plus tard, le mythe a perdu de sa superbe et cinq ans de travaux sont nécessaires pour lui redonner un peu de tenue. Retour sur la vie du mythe, de sa gloire à « sa chute » !
La population du Val-de-Travers sʼest approprié le tunnel de la Clusette dès sa construction. Tout le monde en était très fier. À tel point quʼune exposition sur lui avait été mise sur pied avant même quʼil nʼentre en service durant lʼété 1975. En témoin privilégié du temps et des histoires du Vallon, le Courrier faisait ainsi référence à cette exposition organisée par Micheline Landry et les services de lʼétat dans son édition du 18 juillet de cette année-là.
Une première en Suisse
Imaginez, ce petit coin de pays, que beaucoup ne savaient même pas où situer sur une carte, devenait tout à coup le premier à bénéficier dʼun tunnel à trois voies en Suisse ! Imaginez-vous donc aussi la force de persuasion quʼil a fallu aux gens dʼici pour mener à bien ce projet jusquʼau bout. On leur a mis dʼailleurs des bâtons dans les roues à chaque étape du projet : réclamations, différends juridiques, batailles politiques et autres débats parlementaires se sont succédé. Pour faire face, les forces avaient été regroupées au sein de structures communes. « Le comité dʼaction pour une Clusette sans problème » sʼétait notamment mué en Association des intérêts routiers du Val-de-Travers (AIRV) lors dʼune séance à lʼhôtel des Six-Communes en février 1969.
Le roi de Prusse intervient
Claude Montandon, Frédy Juvet, François Sandoz, Lucien Frasse et bien dʼautres en faisaient partie. Lʼune de leurs toutes premières priorité avait été de prendre contact avec le conseiller dʼétat en charge des travaux publics Carlos Grosjean. Ce dernier nʼavait dʼailleurs pas économisé son énergie pour défendre le projet de la Clusette. Le Courrier relevait le 14 novembre 1975 « que le conseiller dʼétat avait mis tout son poids et son courage pour défendre les intérêts du Vallon et proposer un projet audacieux ». Il fallait bien ça pour venir à bout de cette question de la Clusette sur laquelle tant avaient buté avant lui. En 1777, le roi de Prusse était intervenu en personne pour demander des travaux sur ce secteur dont la première mention dʼune route remonte à 1360. De plus, une longue querelle opposa Noiraigue et Travers entre le 16e et le 18e siècles. La question du partage de la lourde charge de lʼentretien du tronçon était au centre des débats.
Pasteur écrasé par la roche
Les travaux demandés sont finalement arrivés en 1816 et ils se sont terminés deux ans plus tard. Le temps de construire une route plus en hauteur que la précédente. Il est vrai que celle-ci était diablement dangereuse et que le pasteur de Saint-Sulpice avait été écrasé par un quartier de roche en 1795 à en croire Théodore de Meuron. Cette nouvelle voie a davantage changé le problème dʼendroit quʼil ne la résolu. Fragile, la montagne a continué à déverser régulièrement des « offrandes » sur la nouvelle route. En 1858, une fabrique de ciment du Furcil a encore accentué le problème en creusant des galeries. Les glissements de terrain et les éboulements se sont ensuite multipliés avec à chaque fois un isolement du Val-de-Travers comme conséquence directe.
Déviation par la Tourne
Pour se rendre sur le Littoral, les habitants devaient emprunter des itinéraires bien plus longs avec des moyens de transports bien plus rudimentaires quʼaujourdʼhui. À lʼépoque, lʼune des principales réticences liées au projet de tunnel venait dʼailleurs du fait de devoir emprunter un autre passage ‒ par exemple par la Tourne ‒ le temps des travaux. Clin dʼœil amusant (ou pas pour certains), les pendulaires entre le Vallon et Neuchâtel auront tout loisir de penser à ce vieux dilemme dʼépoque en empruntant la déviation par la Tourne en avril. En effet, le tunnel de la Clusette sera fermé un mois pour lancer les travaux dʼassainissement qui dureront jusquʼà fin 2026.
Budget de base de 26.7 millions
Mais revenons en 1968. Cette année-là, un énième éboulement coupa la route durant plusieurs semaines. Ce fut la coulée de trop ! Par postulat du 18 novembre 1968, les députés du Val-de-Travers ont demandé au Conseil dʼétat de résoudre en toute urgence ce problème. Le Grand Conseil puis le peuple neuchâtelois ont finalement consenti à faire le pas et à faire cet effort financier. Une somme de 26.7 millions de francs avait été allouée à cette construction. Une indexation de 37% du devis avait ensuite été acceptée alors que six millions supplémentaires avaient été engagés pour venir à bout de certaines difficultés imprévues rencontrées sur le portail Est du tunnel. Comme la route pénétrait ostensiblement dans la roche, il a fallu bâtir des murs de soutènement dans toute cette zone.
Un tunnel sous le Creux du Van ?
Mais avant dʼen arriver là, il a dʼabord fallu choisir entre plusieurs variantes possibles.
Une trace griffée au sud de Noiraigue et reliant Brot-Dessous à lʼaide de ponts, viaducs et galeries de protection avait ainsi été envisagée. Le percement dʼun tunnel de
5.5 kilomètres sous le Creux du Van débouchant sur la Béroche avait aussi ses partisans plus ou moins réalistes. Finalement, cʼest la proposition plus raisonnable du tunnel dʼun kilomètre au niveau de la zone de lʼéperon qui a été conservée. Un choix dicté en grande partie par le résultat des études géologiques effectuées par lʼinstitut de géologie
de lʼUniversité de Neuchâtel. Les travaux furent lancés en juin 1972.
Et le mythe était né !
Près de trois ans et demi ont été nécessaires pour aménager le passage de la Clusette. Il sʼétend sur 2830 mètres dont 1000 mètres de tunnel. Dans celui-ci, la pente moyenne y est de 6.09%, soit une dénivellation totale de 125 mètres. Le 14 novembre 1975, tout était prêt pour la grande inauguration. 250 invités sʼétaient réunis à la CLusette. LʼHarmonie de Môtiers était également de la fête et la présidente du Grand Conseil, Janine Robert-Challandes, a donc pu couper le ruban en musique et en toute décontraction. À 15 heures précises, le premier véhicule franchissait le portail encadré par un peloton de gendarmes à motos. Le mythe était né !
La Clusette, pourquoi ce nom ?
Pour les curieux, sachez que le nom de la Clusette est le diminutif dʼun terme qui désigne une gorge ou un défilé creusé transversalement à une chaîne de montagnes (du français régional « cluse »). Par ailleurs, un fort ‒ le fort de la Clusette ‒ avait été construit à cet endroit au Moyen âge. Il nʼexiste évidemment plus aujourdʼhui.