La démocratie ?
Les élections : quel spectacle ! Des claqueurs sont engagés pour orchestrer le public. Ils applaudissent, le public applaudit. Ils crient « bouh ! », le public crie « bouh ! » C’est enivrant, exaltant, une expérience grandiose : un peuple, une voix ! C’est ça la démocratie !
Le public, même devant son écran, participe, sachant que beaucoup d’argent est mobilisé pour cet évènement, des millions, voire des milliards, cela doit donc être quelque chose d’extraordinaire : un combat de géants. On attend avec impatience la course au coude-à-coude des candidates et candidats, même s’il ne s’agit pas d’étalons ou de juments. En politique et en économie, on annonce généralement en termes vigoureux ce qui ne pourra jamais devenir une réalité.
Voter : c’est cela la démocratie. La force du peuple se manifeste comme le pouvoir d’achat se manifeste dans la consommation : plus il y en a, mieux c’est. Les élus augmentent avec le nombre de votants et, comme le prouvent les dernières décennies avec la consommation, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. Cela va de pair, car ainsi il y a plus d’argent pour les élections, pour l’économie, pour la politique y compris les médias, ce qui finalement permet aux élites d’étendre et de consolider leur pouvoir.
Un vieux proverbe dit : également les pauvres et surtout eux, rendent hommage aux vainqueurs et à leur pouvoir : voilà un idéal merveilleux, car les démunis sont particulièrement faciles à gouverner. La moindre promesse d’amélioration de leur situation leur fait l’effet d’un clin d’œil du paradis. On peut même parier sur cette compétition électorale.
Le spectacle terminé, le quotidien reprendra ses droits et la force populaire se manifestera dans sa réalité : les embouteillages partout, la surenchère, l’oppression, les conflits dans les relations et avec les voisins, les maladies et leur coût, les nouvelles sur les conditions inhumaines dans les camps de réfugiés, la faim dans le monde, tout ce qui pèse sur nous et notre porte-monnaie et on nous arrache les emplois les mieux payés. Évidemment ce n’est pas vrai, mais c’est ce qu’on nous fait croire. Haïr et déshumaniser les misérables est beaucoup plus simple que de rendre responsables ceux qui les mettent dans cette misère. En plus, les gens peuvent voir ce qu’on fait avec eux s’ils n’engagent pas leurs forces pour les puissants élus ou à élire et s’ils ne participent pas activement à l’économie.
Nous avons derrière nous quelques millénaires d’histoire et nous savons avec quels efforts nous sommes toujours prêts à entrer en guerre pour ce que nous appelons la paix, cette paix armée, qui est plutôt une trêve, trêve que nous rompons constamment ; car nous ne sommes toujours pas enclins à cohabiter sans armement.
La Suisse aussi tient à sa démocratie, car c’est le peuple suisse qui peut la sauver en cas de nécessité, que ce soit en cas de faillite d’une banque ou d’une guerre.
Heinz Salvisberg, Buttes