À propos d’un cinquantenaire
Le chemin de fer du Val-de-Travers
Suite et fin de l’article publié le 18 février 2021
Premier coup de pioche !
Les moyens financiers assurés, les travaux avaient été remis pour Fr. 808’000.- aux ingénieurs Auguste Mérian et Emile Pümpin (ancien directeur du chemin de fer du Toessthal). Dès le début, l’administration s’adjoint M. Louis Weibel comme caissier. Elle parlemente avec la compagnie Suisse occidentale-Simplon pour le raccordement de Travers et d’autres raccordements – mine d’asphalte ou usine Dubied, à Couvet.
C’est le 31 août 1882 que M. Ed. Petitpierre, à Longereuse, en face de l’endroit où se trouve aujourd’hui la ferme Jacot, donne solennellement le premier coup de pioche ! Cela ne se passa point sans cortège et sans que MM. Mérian et Pümpin, tous les membres du conseil et de nombreux écoliers se missent à creuser, à fouiller et à bêcher, animés de la plus joviale humeur. Le Courrier du Val-de-Travers, vallée où l’esprit était proverbial, citait le discours, prononcé sur les lieux. Le Régional y était appelé la future « calèche du peuple » !
On travaille dès lors avec zèle à la construction de la ligne.
L’inauguration
Septembre 1883 ! La dernière main mise aux travaux, le matériel roulant arrivé, des avis sont lancés à la population : « Les cloches de Fleurier sonneront à toute volée pendant la promenade du cortège dès 11 heures et demie du matin ; celles de Travers sonneront à l’arrivée de chaque train », ou bien : « Par les soins du comité, des torches en résine sont déposées chez. M. J. Kaufmann. » Le succès inspire même les compositeurs de musique : « Il vient de paraître : le Régional du Val-de-Travers, grande valse brillante pour le piano, par F.-T. Moll, opus 52, prix 1 fr. 50 ; en vente à Fleurier : au Grand Bazar ; à Saint-Sulpice : au Café du Commerce. »
Et voici qu’enfin se lève l’aube du samedi 22 septembre 1883, jour de cette inauguration tant attendue. Les villages de nos amis du Vallon, témoignage émouvant de leur solidarité neuchâteloise et du désir de rompre enfin avec un pénible isolement, sont couverts de guirlandes, de couronnes et de verdure. Comme par enchantement s’élèvent partout des arcs de triomphe. À Travers, en attendant le train officiel, discours de MM. Romang et Vaucher. Réception des invités et harangue du préfet. L’arrivée à Couvet est saluée par l’éloquence de M. William Borel. à Môtiers, paroles de M. F. Cottier, de la Maison Mauler. Champagne pour tout le monde ! La fête se poursuit à Fleurier. On entend le pasteur Mouline, M. A. Lardet, M. J. Walther ; L’Espérance jouera au banquet, tandis que L’Ouvrière, en costume d’anciens suisses, a assumé le service du train d’honneur et joue depuis 8 heures du matin…
Au banquet, offert à cent convives, fusent, sans interruption, les paroles d’orateurs loquaces : J. Walther, Ch.-M. Tissot, président du Grand Conseil, Robert Comtesse, président du Conseil d’état, M. Vaucher. Pümpin rejette les louanges qu’on lui adresse sur l’entrepreneur Quadri. Ladame, ingénieur au département des travaux publics, n’est pas oublié. Philippe Godet y va d’une série d’humoristiques couplets que nous voudrions pouvoir reproduire. Le pasteur Dumont, de Fleurier, M. Eberhardt, de Couvet, saluent le nouveau-né. M. Gustave Dubied, faisant allusion à la compagnie de la Suisse occidentale, boit, lui, au Régional, « enfant du second lit » ! Après lecture de copieux télégrammes, dont un de Numa Droz, l’on sort de table à 6 heures. À travers d’enthousiastes libations, le Régional est « brave », la locomotive « coquette ». Cortège aux flambeaux. En avant la musique ! Hardi les amis !
La ligne est définitivement ouverte au public le lundi 24 septembre 1883.
Cinquante ans d’exploitation
M. Lucien Piétra qui, aujourd’hui à Fleurier, dirige avec compétence le R. V. T., divise l’exploitation en trois périodes caractéristiques. Il arrête la période des débuts à 1885. La seconde à 1912. La troisième au cinquantenaire de 1933.
Les premières années, plus de 10’000 voyageurs par mois usent du Régional. Les recettes dépassent les prévisions. Un contrat remet l’exploitation de la ligne à la compagnie Suisse occidentale-Simplon. On construit l’embranchement de Fr. 108’000.-, Fleurier-Buttes. La ligne est prolongée de Saint-Sulpice à la fabrique de ciment. La mine d’asphalte, à Travers, relie, de son côté, ses usines au Régional par une voie industrielle. Il faut de nouvelles locomotives.
La deuxième période est marquée, en 1888, par l’amélioration des gares de Couvet, Môtiers et SaintSulpice. En 1890, nouvelle extension du trafic. Acquisition d’une quatrième locomotive. Léger déficit en 1894. Le tir cantonal de Fleurier, en 1902, fait soudain grimper le chiffre des recettes à Fr. 216’212.-. Mais les frais d’entretien sont lourds. Il faut renforcer voie et ponts. Le contrat d’exploitation par les C.F.F., expiré en 1905, est renouvelé jusqu’en 1914. Déjà, la traction électrique est à l’étude. À l’expiration de la convention des C.F.F., la compagnie du Régional reprend l’exploitation à son compte. C’est alors qu’apparaît un atelier de réparations. On complète le matériel roulant. Les dépenses ascendent alors à Fr. 500’000.-, obtenus par emprunt hypothécaire.
La période la plus récente débute très bien. Surgit une caisse de pensions et de secours pour le personnel. Mais la guerre éclate, qui de nouveau diminue le trafic. Au moment de la nomination de M. Piétra, qui, à la direction, succédait à M. Oeschger, soit en 1919, la situation était déjà quelque peu inquiétante. Il va falloir prendre par la suite des mesures d’économie. L’année 1924 se présente normale. Aujourd’hui, l’entreprise, comme on le sait, fait durement son chemin, souffrant de la crise et de la concurrence de la route.
M. Philippe Chable est l’actuel secrétaire du conseil d’administration. Il faudrait citer ici, avec le nom de M. Auguste Leuba, président de ce conseil, des centaines d’autres noms de personnes qui, au Val-de-Travers, ont payé de leur temps et de leur dévouement pour soutenir cette entreprise qui leur tient à coeur et pour la bonne marche de laquelle tous les Neuchâtelois forment à l’occasion de ce cinquantenaire des vœux sincères.
(21 décembre 1933. Voir plaquette de MM. Rub, Vaucher et Piétra, sortie des presses de MM. Montandon et Co, à Fleurier, et nombreux articles dans le Courrier du Val-de-Travers).