Le grand huit de l’arc-en-ciel !
Il sʼen passe des choses dans la vie dʼune truite arc-en-ciel lorsque celle-ci a la chance de transiter par la pisciculture de Môtiers. Chaque année, 40 à 50 tonnes de poissons bio sortent des deux hectares de surface gérés par François Geiger. Cʼest par camion, deux fois par semaine, que les truites quittent un circuit long dʼune année et demie. Cʼest lorsquʼelles sont attirées dans des « toboggans géants » (tuyaux du trieur-compteur) que leur fin approche et quʼelles peuvent commencer à sʼinquiéter de leur sort.
De mémoire de truite, rares sont les endroits en Suisse à traiter aussi bien leur élevage que celui de la pisciculture de Môtiers. Cʼest là que François Geiger gère Bio Fish Valley SA. Cʼest simplement lʼune des trois plus grandes entreprises de production de salmonidés biologiques du pays. Les deux hectares de surface sont séparés en plusieurs zones distinctes. Le tout forme une structure cohérente et captivante. Vous ne me croyez pas ? Lisez cet article jusquʼau bout et je vous mets au défi de ne pas être surpris au moins une fois.
Du bio, du bon, du vrai !
Tout commence par la zone de production. Lʼeau arrive de la vieille Areuse et alimente les bassins ainsi que la zone de compensation écologique.
Ici, cette zone occupe un tiers de notre surface environ. On est bien au-dessus de ce qui est demandé.
En fin de cycle, lʼeau retourne dans la rivière, presque aussi pure quʼelle y est entrée.
Comme les étangs de Môtiers sont sur un ancien bras de la vieille Areuse, lʼhabitat est 100% naturel et il nʼy a eu aucun bétonnage. Ça change de certaines piscicultures conventionnelles qui plaquent quelques planches en bois contre les murs et qui ajoutent du gravier au fond des bassins pour faire croire que cʼest bio.
Ça cʼest envoyé !
Le stagiaire a pris du galon
Il est comme ça François Geiger, il aime que les choses soient bien faites. Lui, ça fait plus de vingt ans quʼil est dans le métier.
Je suis arrivé comme stagiaire à Môtiers en 1999. En 2002, je succédais à lʼancien garde-faune et pisciculteur qui était en place avant moi. Je travaillais donc déjà sur ce site mais pour lʼétat de Neuchâtel.
Puis lʼétat a choisi de se séparer du lieu en 2012 pour reconstruire les mêmes infrastructures de repeuplement des rivières et des cours dʼeau à Colombier (lire encadré). Il y a dix ans, lʼancien stagiaire décida alors de lancer sa propre activité dʼélevage, de transformation et de commercialisation de truites arc-en-ciel à la pisciculture de Môtiers. Il fait vivre quatre employés aujourdʼhui.
Bientôt un service de livraison en 24 h
À la base, on faisait aussi de la truite fario (la truite « de chez nous ») mais personne nʼen voulait. Il y avait aussi de lʼomble mais une maladie chez lʼun de nos fournisseurs a mis fin à notre production pour le moment.
La grande distribution est son principal client – Coop tout particulièrement – mais il livre aussi des restaurants de la région. Des clients privés viennent aussi directement prendre leur poisson sur place. Bio Fish Valley SA est en train de développer une structure de livraison qui permettra de livrer partout dans le pays en 24 heures maximum.
Avec un contenant réfrigérant dʼune capacité de 48 heures et un traceur pour vérifier que la chaîne du froid nʼa jamais été interrompue, cʼest un service qui trouvera rapidement sa clientèle selon moi.
Les toboggans « de la mort »
Il faut dire que tout va très vite pour les truites une fois quʼelles ont atteint la taille souhaitée. Elles sont sorties des bassins via de grands tuyaux aspirants (les fameux toboggans). Elles sont ensuite triées et comptées par une machine avant dʼentrer en zone de stabulation :
Elles y sont conservées quelques jours le temps de se nettoyer complètement. Cʼest ce temps qui permettra à chaque poisson de ne contenir que de la chair.
Et oui, vous ne voudriez pas tomber sur des restes dʼaliments non digérés ou sur pire encore dans votre assiette, nʼest-ce pas ? Une décharge électrique tue instantanément les truites avant quʼelles ne soient envoyées en zone de transformation.
Désinfection obligatoire
Là, elles sont éviscérées, entreposées dans de la glace, emballées puis stockées sur des palettes. Un camion vient chercher la marchandise deux fois par semaine pour boucler ce processus. Ainsi va la vie dʼune entreprise de production. Cela nʼempêche pas François Geiger de prendre soin de ses poissons durant tout le processus. Dʼailleurs, pour les approcher, il faut montrer patte blanche.
Vous lʼavez vu vous-même, toute personne qui entre dans le périmètre doit se désinfecter les semelles. Comme nos poissons ne sont jamais traités avec des médicaments, même préventivement, on se doit de faire attention et de ne pas ramener de maladie près des bassins.
Véhicules soumis à un « traitement spécial »
Cette mésaventure est hélas arrivée trois fois au début de lʼélevage.
Ça signifie une année et demie de travail réduit en poussière. Ça fait passablement mal, croyez-moi.
Pour limiter les risques au maximum, les roues des voitures sont même désinfectées et chaque véhicule doit respecter un délai dʼattente de trente minutes le temps que le produit agisse. Toutes ces précautions, associées aux exigences dʼélevages les plus élévées dʼEurope, voilà ce qui offre la vie en rose aux truites arc-en-ciel de Môtiers.
Kevin Vaucher
« Une autoroute à flotte »
Lorsque lʼétat de Neuchâtel sʼest séparé du site de Môtiers en 2012, cela nʼa pas eu une grande conséquence puisque la même chose a été faite à Colombier.
Or, la stratégie en matière de repeuplement des cours dʼeau a un peu évolué depuis. La tendance est plutôt à observer comment les espèces se reproduisent sans intervention humaine,
développe François Geiger.
Problème, une rivière comme lʼAreuse est une vraie autoroute à flotte au moment de la fonte des neiges.
Ce qui balaie les œufs cachés sous le gravier.
À lʼépoque, je refroidissais les œufs pour quʼils éclosent après cette période de crue,
se souvient-il. Cela demandait un travail énorme avec incubatrice artificielle. Jusquʼà cinq millions dʼœufs pouvaient être traités dans cette incubatrice qui se trouvait dans des locaux rachetés par lʼentreprise Etel.
Un investissement à six chiffres
On a essayé de la récupérer mais sans succès. On a alors dû travailler ailleurs dans le canton dans ce domaine. Mais on est en train de construire une petite infrastructure pour pouvoir être totalement autonomes.
Cet investissement de plusieurs centaines de milliers de francs devrait être prêt fin 2022 début 2023. Un nouvel atout et un nouvel élément à défendre pour les deux chiens de garde qui protègent le site durant la nuit.
On a aussi installé des caméras de surveillance à la suite de vols et de déprédations. Certains avaient même essayé dʼouvrir les trappes des bassins en pleine nuit il y a quelques années.
La plus grande menace vient désormais du ciel.
Nos filets de protection ne sont pas 100% efficaces contre les oiseaux. Le plus ennuyeux nʼest pas quʼils en mangent une de temps à autre mais cʼest le fait quʼils en blessent dix pour en manger une seule.
Et ce, même si lʼélevage est exemplaire en termes de concentration avec 15 kilos de poissons par mètre cube. En pisciculture conventionnelle cela peut monter jusquʼà 100 kilos par mètre cube et en bio la limite est fixée à 20 kilos. Ça se confirme, François Geiger aime les choses bien faites.