Le messager des animaux
Kevin Beuret est un photographe de La Côte-aux-Fées dont les photos sont bien connues des Vallonniers. Près de 3000 abonnés le suivent sur son compte Instagram. Depuis ses débuts il y a dix ans, il est spécialisé dans l’image animalière de la faune du Val-de-Travers. Lui, on le connaît moins. Très peu savent que c’est moins la photo qui l’intéresse que le message qu’il peut faire passer grâce à elle. Véritable animaliste, il cherche à comprendre l’animal qu’il piste pour mieux nous le présenter et pour mieux le protéger.
Ce jeune homme de 25 ans a toujours vécu dans son village de La Côte-aux-Fées. C’est d’ailleurs cet environnement qui l’a poussé à se diriger vers la photographie animalière. «Depuis tout petit, je voyais des animaux transiter par les forêts qui entourent notre maison familiale. Quand j’étais ado, je me suis dit que c’était dommage de ne pas pouvoir faire partager mes observations à travers des photos. J’ai donc insisté et insisté auprès de ma maman pour qu’elle m’achète un appareil. » Et un jour, il a trouvé un appareil photo avec un petit mot à son attention : « voilà quelque chose qui te manquait, je crois.»
Un 1er appareil si particulier
«Même si j’ai passablement amélioré mon matériel depuis dix ans, j’ai toujours conservé ce premier appareil et ce mot.» Ces deux objets lui rappellent ce qui a déclenché sa passion et lui rappellent aussi cette maman attentionnée qui est décédée en avril dernier. C’est sans aucun doute le plus beau souvenir que cet appareil aura permis de figer. À la suite de ce cadeau maternel, Kevin n’a plus jamais décroché l’œil de sa «boîte à images».
Je possède notamment un objectif de 500 millimètres très lourd et très encombrant mais super pour aller chercher l’animal au loin.
Observer et comprendre
En réalité, le «chasseur d’images» niquelet n’en est pas vraiment un. C’est plutôt un messager des animaux: «La photo est, pour moi, un moyen de faire passer un message. Je ne cherche pas à faire « LA belle photo » à tout prix mais j’aime comprendre l’animal que je photographie.» Son concept est donc global. Il fait des recherches et il fait un suivi de certains spécimens, sur plusieurs années, pour raconter une histoire autour d’eux. C’est une façon de mieux faire comprendre l’écosystème qui nous entoure et de démonter les peurs, souvent irrationnelles, autour de la faune.
La petite «entreprise» Beuret
«C’est ce côté naturaliste qui me plaît. Je fais partie du groupe qui suit le développement de l’aigle royal au Vallon et je fais aussi des recherches depuis des années sur le cerf et le lynx.» Dans ses forêts, son élément, Kevin Beuret construit des nichoirs à oiseaux, des fontaines pour qu’ils puissent se rafraîchir ou encore des cabanes à hérissons près de chez lui. Il est également entouré d’une petite équipe de trois personnes (Marine Bringold, Dimitri Wyss et Julien Hofmann) pour l’aider à mettre sur pied des expositions interactives par exemple.
Il piste le lynx 18 mois jusqu’au jour où…
Son animal fétiche est le lynx. Il ne l’avait encore jamais rencontré jusqu’en février 2021. Il l’a pisté encore et encore… et encore. À en perdre le sommeil. «Je l’ai cherché presque jour et nuit pendant 18 mois avant de le trouver. Je n’en dormais plus. J’ai même manqué une semaine à ski avec ma copine car je m’étais plié un genou en me cachant dans des branchages. Elle m’en a d’ailleurs un peu voulu sur le moment», en plaisante-t-il aujourd’hui. «Mais ça en valait le coup. Franchement, il est si mystérieux. Il dégage une telle force, un tel sentiment de puissance et une telle sérénité à la fois que ça en est bluffant.»
Insaisissable et charismatique animal
Il en parle si bien, qu’on ne peut que le laisser continuer: «Le lynx n’a pas besoin de faire beaucoup de bruit pour qu’on parle de lui. Il est élégant, charismatique, inaccessible et insaisissable. ça parle pour lui.» Depuis qu’il le cherche dans nos forêts vallonnières, il a rencontré trois fois l’animal. Le grand mâle de la région (Eros), une femelle couchée dans la neige et un jeune d’une année. «Il regardait en contrebas car sa maman m’avait repéré de loin et elle veillait sur lui. Le lynx peut sembler distant mais il est très protecteur avec les siens.» Voilà, s’il manquait un messager aux animaux, ils l’ont trouvé, je crois!
Kevin Vaucher
1974: réintroduction du lynx au Creux du Van
Si on a la chance de voir à nouveau des lynx en liberté dans notre région, c’est grâce à Archibald Quartier. Ce naturaliste et homme politique neuchâtelois avait d’abord essayé de réintroduire l’ours. Il avait vite renoncé devant la grogne populaire. Il s’est ensuite occupé de celle du lynx en toute discrétion. Il avait donc fait venir un couple de lynx dans le plus grand secret, depuis la Slovaquie. Et ils avaient été relâchés dans la réserve naturelle du Creux du Van en 1974.
Cohabitation plutôt bonne
Depuis, la présence de l’animal est plutôt bien acceptée dans le canton, contrairement à d’autres endroits en Suisse et en France notamment. Comment le sait-on ? Chaque fois qu’un lynx meurt, il est apporté au Tierspital de Berne pour être analysé. Il est rare que l’on retrouve du plomb dans son corps (synonyme d’abattage). Les principaux dangers viennent des accidents avec le train et les voitures. «Cela se passe souvent aux mois d’avril et de mai lorsque les jeunes s’émancipent de leurs parents. Ils traversent les routes par inconsciance du danger», explique Kevin Beuret.