Les nouvelles « petites mains » de chez Dubied
Tout bon Vallonnier le sait : l’entreprise Edouard Dubied & Cie SA était une entreprise de machines pour l’industrie textile. Vous pensiez peut-être que toutes ses machines s’étaient arrêtées au moment de la faillite de 1987 ? Eh bien non ! Une bande grandissante de passionnés s’attelle à faire revivre ce patrimoine historique artisanal sur l’ancien site de l’usine de Couvet. Refusant de le voir tomber dans l’oubli, ils proposent désormais de remonter le fil de l’histoire à la force de leurs mains et de leurs souvenirs.
Nous sommes un jeudi après-midi. Et qui dit jeudi dit aussi… jour de Courrier ! Oui, c’est vrai. Mais ce n’est pas le sujet. Le jeudi, c’est aussi le jour de la semaine où les « passionnés Dubied » se retrouvent sur l’ancien site de l’usine covassonne pour ne pas perdre le fil. Celui de l’histoire ! Catherine est dans un coin de la pièce. Elle travaille sur l’une des vieilles machines d’époque, retrouvées pour certaines en Italie. Dubied y avait ouvert deux usines durant ses belles années d’activité.
Un héritage qui se tisse
Comme une poignée d’autres dames, Catherine est l’une des rares à savoir utiliser les anciennes machines Dubied. « Je trouvais injuste de laisser tomber cet héritage dans l’oubli et c’est une façon de faire continuer cette belle page d’histoire », tisse celle qui se forme au « langage Dubied » depuis une année. « L’idée est aussi de faire des démonstrations pour les visiteurs. C’est donc véritablement une façon de faire revivre ces machines. J’aimerais beaucoup que de plus jeunes tricoteuses nous rejoignent pour que ce savoir-faire ne se perde jamais. » Pour allier l’utile à l’apprentissage, Catherine et ses complices créent des petits objets du quotidien (set de table,…) qui seront ensuite vendus à la Maison de l’industrie de Noiraigue.
Luigi, l’ancien mécano de chez Dubied
Pour aider les volontaires à se familiariser avec ces imposantes machines, des photocopies de vieux modes d’emploi sont à disposition. « Nous avons aussi un cahier de cours élaboré par d’anciens tricoteurs Dubied. C’est très instructif pour nous. » Un peu plus loin, nous trouvons Luigi, lunettes de protection sur les yeux. Il est en train de préparer à la mise en route l’énorme machine Wevenit A24. Son expertise est précieuse puisque c’est un ancien mécano de machines Dubied. « Je ne suis pas forcément beaucoup connu au Vallon parce que j’ai parcouru le monde dans le cadre de mon ancienne activité », se souvient le retraité.
Une robe d’une seule pièce
La Wevenit A24 était le top de la technologie dans les années 1960/70. Sa grande taille, son film en acier circulaire et ses 24 aiguilles permettent de produire une robe d’une seule pièce. Fort de ses connaissances passées, Luigi a assemblé la machine lorsqu’elle est arrivée d’Autriche. « Elle a d’abord été utilisée au CNIP (Centre neuchâtelois d’intégration professionnelle) avant d’être déménagée sur l’ancien site Dubied, où nous nous trouvons actuellement », brode Diego. Ce membre de la Noble Corporation des anciens tricoteurs-mécaniciens Dubied est également un rouage précieux chez les « passionnés Dubied ». Lorsque de vieux appareils inutilisables de chez Dubied sont retrouvés, il les démonte pour alimenter le stock des pièces de rechange par exemple. On dit qu’il vaut mieux soigner le passé pour affronter le futur. En voilà un bel exemple.
Ne pas arriver au bout de la bobine de l’histoire Dubied
Mais lorsqu’on parle de technologie, il n’est parfois pas évident de trouver du matériel adapté aujourd’hui. « C’est bien beau de récupérer d’anciennes machines mais encore faut-il pouvoir les faire tourner. Or, les normes Dubied n’existent plus vraiment aujourd’hui, notamment pour les bobines de fil. Nous avons trouvé un système qui permet d’enrouler le fil sur des bobines compatibles… mais la qualité du fil entre aussi en jeu. Aujourd’hui, il existe des tonnes de fils différents. Normalement, la seule information dont nous disposons est le poids de ce fil sur un kilomètre. C’est l’échelle de mesure actuelle. Certains y ajoutent encore le nombre de brins et le nombre de torsades. Bref, on doit se débrouiller avec ça et faire des tests pour trouver le bon compromis », démêle Daniel Huguenin-Dumittan. Lui aussi est l’une de ces « petites mains » qui utilisent leur tête pour que le fil de l’histoire Dubied n’arrive jamais au bout de sa bobine…
Kevin Vaucher