Fait exceptionnel, la lettre de quatre pages acquise conjointement par la BPUN, l’Association Jean-Jacques Rousseau de Neuchâtel et l’Association des amis de la BPUN semblait perdue et reste à ce jour complètement inédite. Datée de Môtiers, le 25 avril 1763, et adressée à Daniel Roguin (1691-1771), ami yverdonnois de Rousseau, elle documente la vie du philosophe pendant son séjour dans la Principauté de Neuchâtel.

En 1762, après la condamnation en France de son traité d’éducation Émile et de son ouvrage de philosophie politique Du contrat social, Rousseau quitte brusquement Montmorency et se dirige vers la Suisse. Il trouve bientôt refuge dans le Val-de-Travers, grâce à la famille de Daniel Roguin.

Aujourd’hui encore, le Musée Jean-Jacques Rousseau de Môtiers entretient la mémoire de ce séjour de trois ans, particulièrement important dans sa trajectoire biographique, intellectuelle et littéraire.

Se sentant menacé, Rousseau fuit Môtiers en 1765 pour un long exil qui le conduira à l’île de Saint-Pierre et en Angleterre. Il terminera sa vie en France sans jamais revoir la Suisse.
La lettre acquise par la BPUN est écrite par Rousseau moins d’un an après son installation à Môtiers. Elle concerne un paquet égaré. Elle a deux particularités. D’abord, elle forme une des rares lettres que nous possédions, parmi celles qu’adresse Rousseau à Daniel Roguin. La perte de ces documents est d’autant plus regrettable que le financier d’Yverdon compte parmi les plus fidèles amis et soutiens de Rousseau qui, dans d’autres missives, l’appelle affectueusement « très bon papa ». Sur cinquante-sept lettres, trente-et-une ont disparu. Parmi celles qui subsistent, six sont conservées à la Bibliothèque centrale de Zurich et six autres – maintenant sept – à la BPUN. Ensuite, la lettre est en partie caviardée.
Politiquement incorrects, deux segments de phrases ont été censurés par le destinataire ou par quelqu’un d’autre, peut-être parce qu’ils auraient porté préjudice à Rousseau si un témoin malveillant les avait lus. Par chance, l’encre qui a servi au caviardage s’est éclaircie avec le temps et nous parvenons à deviner les mots qu’elle recouvre. Dans le premier segment, Rousseau avoue à Roguin qu’il se « soucie très peu de la Classe » des pasteurs de Neuchâtel qui rassemble une quarantaine de ministres protestants et qui, sous l’Ancien Régime, dispose d’un grand pouvoir à Neuchâtel. Ne voyant pas d’un œil favorable la présence d’un philosophe sulfureux dans la région, la Vénérable Classe des pasteurs entre en conflit avec Rousseau et contribuera à précipiter son départ de Môtiers. Dans le second segment, Rousseau annonce à son ami qu’il vient d’être « naturalisé habitant » de la Principauté de Neuchâtel. Il a en effet reçu ses lettres de naturalité neuchâteloise quelques jours plus tôt, le 16 avril 1763. Menacé d’emprisonnement dans sa ville natale de Genève, il renoncera un mois plus tard à sa citoyenneté genevoise.

Extrêmement fragile et couverte de taches dues à l’humidité, la lettre inédite provient d’un collectionneur brésilien. Elle a été mise en vente en Suisse par l’intermédiaire d’un libraire genevois. Après avoir pris des renseignements et consulté le manuscrit, la BPUN et l’Association Jean-Jacques Rousseau ont conclu l’achat. Quant à elle, l’Association des amis de la BPUN a largement contribué au financement de cette acquisition exceptionnelle. Grâce aux efforts conjoints des trois institutions, la lettre de Rousseau est désormais conservée en toute sécurité dans une bibliothèque publique. Sous la cote MsR N.a. 30, elle a intégré en 2021 le précieux Fonds Jean-Jacques Rousseau de la BPUN inscrit au « Registre mémoire du monde » de l’UNESCO. À l’intention du public et des chercheurs, une édition critique de cette lettre est prévue dans une revue scientifique spécialisée.

Comm.