Lettres ouvertes
Des parallèles
Il y a déjà quelque temps, j’étais en France dans une région avec quelques collines. Sur leur crête, on voyait des tours blanches les unes à côté des autres qui sortaient des forêts. Cela m’a fait penser à Leibniz, le philosophe et mathématicien du 17e siècle, qui a séjourné en Allemagne et en France. Il propose à Louis XIV, particulièrement friand de batailles, de déplacer les multiples guerres en Europe et d’aller dévaster les pays arabes. Oui, nous avons beaucoup appris de lui, le calcul infinitésimal entre autres, et la possibilité d’utiliser les moulins pas seulement pour faire de la farine mais aussi pour produire de l’énergie. Louis XIV n’a pas suivi le conseil de Leibniz. Mais nous, trois cents ans plus tard, nous avons découvert la sagesse du conseil leibnizien et avons repris l’idée des moulins.
Voilà, et maintenant ils sont implantés partout en France. Grand merci à Leibniz : fini les guerres en Europe, et un immense potentiel d’énergie dite renouvelable pour l’éternité. En avons-nous vraiment besoin ? Ce potentiel énergétique est exploité, entre autres, pour la production d’armes, et ces armes sont utilisées dans les régions où la guerre se poursuit. Bien sûr, nous pouvons aussi utiliser cette énergie pour notre vie quotidienne en utilisant notre machine à café, notre machine à laver, même pour faire tourner un toboggan et, miracle après miracle, pour nos voitures, pour les différentes tondeuses à gazon, pour le bien-être, le fitness, même pour la télévision et le téléphone. C’est vrai, Leibniz a pensé à créer le mouvement perpétuel. Enfin c’est fait ! Le vent prend soin de faire tourner les pales pour créer de l’énergie et les êtres humains prennent soin de continuer de faire la guerre. Malheureusement le pauvre philosophe ne peut plus profiter de ses excellentes idées.
Mais est-ce vraiment le vent qui prend soin de créer notre énergie ? Est-ce que ce ne sont pas aussi les êtres humains ? Réfléchissons bien : y aurait-il des éoliennes sans eux ? Non, bien sûr que non. Ce sont toujours nous, les humains, qui avons besoin que les pales tournent, il y a ceux qui gagnent et il y a ceux qui perdent dans le secteur de la guerre comme dans le secteur de l’énergie. De nombreux êtres mortels travaillent à la production de la guerre et de l’énergie pour le profit et pour notre bien-être comme ils disent. Une moins grande partie des êtres vivants luttent pour la paix et pour une vie plus reliée à la nature, beaucoup plus modeste et plus solidaire. Mais les participants et les participantes de cette minorité ne gagnent rien, au contraire : perdent de l’argent, de l’espérance pendant que la production d’énergie augmente d’année en année parallèlement à notre croissance économique, à l’industrie électrique et à la production des armes – et les riches deviennent encore plus riches sur les frais de ceux qui ont déjà peu.
Heinz Salvisberg, Buttes