Roland Jaeger
Miraculé par deux fois !
Roland Jaeger est âgé de 80 ans. Il est en bonne santé, il peut faire du sport et il vit tout à fait normalement. Il vit, cʼest la partie la plus importante de la phrase précédente. Car il aurait parfaitement pu passer de lʼautre côté du tunnel il y a quelques années. Mal en point et déjà condamné par beaucoup, il attendait désespérément une transplantation du foie lorsque lʼorgane tant attendu est arrivé, juste à temps. Le Covasson a été sauvé une seconde fois pendant lʼopération lorsque son cœur sʼest arrêté et quʼil a fallu pratiquer un massage cardiaque à même le cœur. Témoignage.
Lorsque jʼarrive chez Roland Jaeger et sa femme Anne-Marie, lʼhomme est fringant et la poignée de main est solide. Une certaine excitation semble même lʼanimer, comme sʼil fallait rapidement quʼil me dise quelque chose. On sʼassoit et je lʼécoute :
Après ce que jʼai vécu, je peux parler en tant que témoin privilégié en quelque sorte.
Pour lui, tout est parti dʼun simple contrôle médical.
Jʼai lʼhabitude de dire que je passais le service des 50ʼ000 kil lorsque tout a commencé. Mon médecin a fait un check-up et jʼavais demandé de mettre lʼaccent sur le foie car jʼai attrapé une hépatite B en 1962 (à 20 ans). On mʼa alors décelé une autre hépatite. La D !
« Ce sera fini pour vous »
De manière très frontale, le corps médical lui a précisé quʼune hépatite B ne se soignait pas et quʼelle allait donc entraîner une cirrhose hépatique puis un cancer du foie.
Et après ce sera fini pour vous mʼa-t-on dit ! On mʼa aussi indiqué quʼil faudrait vraisemblablement imaginer une greffe dans le futur. Jʼai fait des bilans tous les deux mois à Genève pour suivre lʼévolution. Jusquʼau jour où jʼai craché du sang car toutes les varices avaient sauté.
Ça peut paraître cru mais cʼest comme ça que ça se passe, nʼenjolivons pas les choses. Parti en urgence à Genève, Roland Jaeger a subi transfusion sur transfusion. De la colle biologique a aussi été utilisée pour colmater les varices. Cʼétait le 17 février 2002. La greffe est intervenue seulement deux mois plus tard alors que le Vallonnier était dans le coma et proche du point de non-retour.
Un tunnel de lumière
Cette attente était interminable. Jʼétais monté à 104 kilos en rétention dʼeau. Plus rien ne fonctionnait. Mon médecin mʼa dit que mon foie nʼétait plus quʼà 10% de ses capacités lorsquʼil mʼa été retiré.
Le rapport médical précise que le foie du donneur est arrivé « in extremis » pour sauver Roland Jaeger.
Plus tard, lʼinfirmière mʼa confié quʼelle ne pensait pas que jʼallais passer cette nuit-là. Dʼailleurs, je me suis vu traverser un long tunnel noir avec une très forte lumière à lʼhorizon. Je courais pour y arriver mais je nʼai jamais atteint la lumière. ça voulait dire « quʼil » ne voulait encore pas de moi.
Lʼorgane est donc tombé à point !
Accident mortel en Suisse alémanique comme source ?
Personne nʼa jamais su dʼoù est miraculeusement tombé ce foie salvateur. Mais comme il y avait eu un grave accident mortel en Suisse alémanique ce jour-là, il se peut que les deux choses soient liées selon le couple du Val-de-Travers.
Et le 18 avril dernier, jʼai fêté les vingt ans de ma transplantation, vous vous rendez compte dʼoù je reviens ?
La question est dʼautant plus légitime quʼil a fait un arrêt cardiaque durant lʼopération et que le chirurgien a dû relancer le cœur directement à la main pour lui sauver la vie une seconde fois. Roland a pris le temps de… serrer la main de son chirurgien en guise de remerciement et il a aussi écrit une lettre à la famille du donneur. Cʼest SwissTransplant qui a joué le rôle dʼintermédiaire, comme le don dʼorgane est anonyme.
Une liste dʼattente « de la mort »
Je ne me dis pas que je vis avec le foie dʼun autre, je me dis simplement que je suis allé à Genève comme si jʼallais au garage pour faire un échange standard de carburateur,
philosophe-t-il. Heureusement pour lui, le mécanicien a été bon. Lʼopération a quand même duré 11 heures, avec lʼalerte de lʼarrêt cardiaque.
Et puis la colle biologique à deux composants, utilisée pour colmater les varices, avait traversé lʼestomac et collé mon foie de lʼautre côté.
Hélas, comme dans tout bon garage, il y a une liste dʼattente pour bénéficier dʼun don dʼorgane en Suisse. Ils étaient plus de 1000 à y figurer en 2021. Cette même année, environ 450 personnes ont été greffées à la suite du décès dʼun donneur et 125 autres ont reçu un organe dʼune personne vivante. On le voit, il y a clairement un manque de donneurs par rapport aux besoins actuels.
Ce que change la votation du 15 mai
Dimanche passé, nous avons voté sur la modification de la loi sur la transplantation. Le texte proposait de passer au consentement présumé, cʼest-à-dire que toute personne serait considérée comme donneuse dʼorganes. Sauf si elle a exprimé de son vivant son souhait de ne pas lʼêtre. Cette proposition a été acceptée par 60.2% des Suisses. Avant ce « oui » du peuple, il fallait faire la démarche de se déclarer donneur de son vivant pour être considéré comme tel. ça va donc tout prochainement changer et c’est, ma « foie », plutôt positif pour ceux qui patientent sur liste d’attente depuis longtemps.
Kevin Vaucher