Modélisme
Une revanche mûrie plus de 60 ans
On n’a pas idée de tout ce qui se passe au-dessus de nos têtes. Là-haut, à des milliers de kilomètres, il s’en passe des allers et des retours. Le trafic aérien constitue une vie à haute altitude dont on ignore tout depuis le rez-de-chaussée qu’est la terre ferme. Plus proche de nous, mais toujours au-dessus de nos têtes, la vie est tout aussi présente. Caché sous le toit d’une maison de Travers, le petit atelier d’aéromodélisme de Marc Vantieghem constitue un espace au calme d’où l’homme de 77 ans a construit sa revanche. Une revanche de haut vol…
Cette histoire débute loin d’ici, peu importe l’endroit, ce n’est pas très important. Nous sommes en 1961 et Marc Vantieghem a 14 ans. Son papa est un pro d’aéromodélisme et Marc a envie d’essayer de construire son propre avion. « À cette époque, il n’y avait pas de boîtes de maquettes préfabriquées. Il fallait tout faire soi-même, de A à Z. Mon père n’avait donc pas accès à la machine à découpe laser. Il utilisait les outils disponibles dans les années 1930, quand il a commencé le modélisme. C’est-à-dire des lames de rasoir, du papier de verre et de la colle en poudre qu’il fallait mélanger avec de l’eau et laisser reposer 24 heures. »
Des outils de 1930
Quand le cutter a été inventé, il a également utilisé ce nouvel outil. Mais rien de plus. « Il m’a donc appris à travailler avec ces outils des années 1930 et je n’ai jamais changé ma façon de faire.
Je dois être un des derniers Mohicans à utiliser cette méthode. J’ai juste remplacé la colle en poudre par de la colle blanche. » Il s’est aussi installé une petite scie circulaire dans son atelier, aménagé sous le toit de la maison familiale. Lorsqu’il faisait des maquettes de bateaux, il utilisait exclusivement du bois de récupération. Mais depuis qu’il est passé aux avions, il y a bien longtemps, il a dû revoir sa matière première.
Son stock de vieux plans
« Je dois utiliser du balsa, un bois tropical très léger. Je n’ai pas vraiment le choix car je débite toutes mes pièces moi-même. Le bois de récupération est trop grossier et il serait inadapté. » Surtout en le travaillant avec des outils vieux de 100 ans. À partir de grandes planches, l’habitant de Travers réalise toutes les pièces dont il a besoin. Les plans ? Il les trouve dans un vieux stock qu’il a enrichi au fil des ans : « Tous mes copains d’école ont voulu essayer l’aéromodélisme et ils ont tous arrêté en cours de route. Du coup, j’ai récupéré tous les plans et je me suis amusé à les réaliser moi-même. Tant mieux qu’ils aient abandonné en cours de route », se gausse-t-il.
Revanche… 63 ans plus tard
Marc se gausse mais pas très longtemps quand même. Car l’abandon, il l’a aussi connu. C’est même de cet abandon qu’est née sa plus belle histoire. « Quand j’ai voulu faire mon premier avion, à 14 ans, je n’ai pas écouté les conseils de mon père et je me suis planté. Du coup, j’avais abandonné la construction de ce modèle. » Mais cette famille d’origine belge et française est coriace. Son père a fait la 2e Guerre mondiale, son grand-père a participé à la guerre de 1914-1918 et son arrière-grand-père s’est annoncé volontaire pour celle de 1870, sous Napoléon III. « Moi, j’étais juste trop jeune pour la guerre d’Algérie mais je suis un tenace aussi ». La preuve : « Cet échec de construction de mon premier avion est resté en travers de ma gorge durant 63 ans. J’avais envie de prendre ma revanche. »
L’avion au mauvais goût d’inachevé de son fils
Du coup, il a ressorti son vieux plan et il est venu à bout de la construction l’année dernière, soit… 63 ans après son premier échec. Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul avion que Marc ne réussit pas à terminer. « C’est celui de mon fils. Il est décédé il y a quatre ans. Il était en train de construire une belle maquette qui n’est pas terminée. Mais je n’arrive pas à la toucher, cela me fait trop mal. » Marc se réfugie souvent dans son atelier pour se calmer et trouver l’apaisement. « C’est l’endroit où je me sens le mieux. Je pourrais installer un lit et dormir dans cette petite pièce jusqu’à la fin de mes jours. Cela suffirait à mon bonheur. » Nous laissons donc Marc Vantieghem seul dans son « cockpit », là-haut, perdu près du ciel, et probablement pas très loin de son fils…
Kevin Vaucher