Môtiers Art en plein air
Danse avec les ombres
Ici… une ombre, qui est-ce ? Elle a disparu ! Par où va-t-elle réapparaître ? Et maintenant des notes de musique qui descendent de la forêt. Tiens, je vois un homme avec une guitare au milieu des œuvres d’Art en plein air. Et voilà que revoilà cette ombre. Elle est là, elle s’approche et virevolte avant de repartir aussitôt. Inquiétante ou bienveillante ? Je ne sais pas, je dirais envoûtante. Dans les bois de Môtiers, j’aperçois enfin un visage connu, souriant, détendu. C’est Claude-André Montandon, le garde forestier. Ses mots résonnent d’arbre en arbre comme des éclats percutant et se répercutant. Finalement, le temps s’arrête…
Dois-je raconter la suite ? Non, le meilleur moyen pour vous de connaître la suite est de la découvrir par vous-même demain vendredi entre 11 h et 13 h (rendez-vous devant la roulotte de la caisse de l’exposition Môtiers Art en plein air, aucun coût supplémentaire pour y participer). Votre expérience sera forcément un peu différente car l’un des personnages aura été changé. Claude-André Montandon aura été remplacé par Christian Mermet, politicien et président de l’Ensemble symphonique Neuchâtel. Avant lui, Pierre-André Delachaux (cofondateur de l’expo en pleine nature), son épouse Marie Delachaux (co-fondatrice de l’événement) et Anne Mermet (musicienne) auront tour à tour apporté leur touche personnelle à cette pièce d’art qui sublime l’art en plein air.
Une expérience unique !
Simple, le concept consiste à parcourir quelques œuvres à travers Môtiers accompagné du musicien Grégoire Paultre Negel et de la danseuse Emilia Giudicelli. Pendant que l’un joue, la fameuse ombre danse, tantôt apparente tantôt masquée par la nature environnante. Toute la matière ne fait plus qu’un et s’articule autour d’un personnage régional différent à chaque fois. Celui-ci sélectionne quelques créations de Môtiers-Art en plein air et les commente avec son vécu et sa sensibilité.
Nous voulions marquer le coup pour la dernière semaine de l’exposition et c’était une belle occasion de le faire en collaboration avec l’ADN (Association Danse Neuchâtel),
explique Marie Delachaux. ADN était surtout actif sur Neuchâtel depuis sa création mais l’association de danse cherche à intensifier ses activités au Vallon depuis 2018. Voilà qui est fait et qui ravit Philippe Olza, en charge des nouveaux projets d’ADN.
Moi, c’est avec le garde forestier Claude-André Montandon comme orateur que j’ai eu la chance de participer à cette aventure immersive de deux heures.
C’est vrai que c’est une expérience assez unique et je suis flatté d’avoir été choisi pour ouvrir cette série de quatre performances en forêt,
pose l’homme des bois. Un choix parfaitement justifié tant il sait faire partager sa passion. Et comme il a également participé à l’élaboration de différentes œuvres, il a pu ajouter des détails techniques à ses interventions plus poétiques autour de l’influence positive de la nature sur nos vies. La quinzaine de personnes qui lui ont emboîté le pas ce mardi après-midi-là n’ont pas regretté le déplacement. Tout à coup, de l’agitation dans les rangs et quelques murmures commencent à émerger discrètement.
Il va se passer quelque chose vers l’œuvre du rhinocéros,
me glisse ma voisine. En regardant autour de moi, le musicien avait soudainement disparu et l’ombre avait à nouveau filé à l’anglaise. Que nous préparait-on encore ?
Et l’ombre devient puits de lumière
Sans prévenir, Grégoire surgit alors devant le rhino pendant que l’insaisissable Emilia entame un lent et paisible ballet rythmique. Puis les choses s’accélèrent, le tempo devient plus vigousse, frénétique parfois. Peut-on dire hypnotique ? Oui, on peut. L’inaccessible silhouette sort peu à peu de la pénombre jusqu’à vous effleurer. Vous touchez ? Peut-être… Le temps semble suspendu puis tout s’arrête brusquement, vous laissant groggy et étrangement apaisé. Claude-André Montandon se tourne alors vers moi et m’envoie :
J’avais préparé un fil rouge avec les deux artistes mais je ne m’attendais pas à vivre ça. Comme moi dans les mots, ils laissent la place à une grande part d’improvisation. C’est étonnant, même moi je suis surpris par ce qu’il vient de se passer sous nos yeux.
Moi-même, je suis aussi étourdi un instant, je lui réponds que je pourrais faire une sieste sur le champ tellement la plénitude plane dans l’air.
C’est mieux que le yoga pour se ressourcer,
va-t-il dans mon sens. Le petit groupe continue alors son chemin en silence jusqu’au prochain arrêt.
La sève est remontée et le garde forestier a retrouvé toute son énergie. En l’écoutant, chacun a un air lumineux sur son visage. Même l’ombre finit par entrer dans la lumière et à se « déposer » non loin du groupe.
Dans mon métier, on cherche à créer des puits de lumière pour que la régénération puisse s’installer dans la forêt,
éclaircit Claude-André. Voilà qui fait parfaitement écho à ce que nous venons de vivre tous ensemble. Et l’homme continue son récit avec une justesse peu commune dans les mots :
J’accueille parfois des groupes d’enfants dans le cadre de mon activité. Je leur demande de se coucher par terre et de regarder en l’air lorsqu’il y a un peu de vent. Les arbres bougent un peu les uns contre les autres comme s’ils dansaient. En plus d’être artistiques comme images cela leur montre que la nature est vivante.
Dans cette atmosphère si particulière, aux confins de l’art et de la nature, le groupe est-il allé jusqu’à faire quelques mouvements chorégraphiques pour imiter les arbres qui dansent et clôturer ce moment définitivement hors du temps ? Nous laisserons ça dans l’ombre !
Kevin Vaucher