Môtiers
Un gin au pays de la fée verte
Depuis une année, la distillerie Blackmint SA Absinthe Kübler à Môtiers produit un gin estampillé Swissness. Un spiritueux dans l’air du temps et d’une grande qualité mais qui demeure un produit de niche et qui se veut confidentiel.
La forme de la bouteille brun-vert est identique et évoque immédiatement l’Absinthe Kübler, mais l’étiquette stylisée n’est pas celle traditionnelle vert clair de la fée verte et affiche la mention de Swiss Dry Gin. Depuis plusieurs années, le spiritueux originaire d’outre-Manche est en vogue et différents distillateurs helvétiques se sont lancés dans son élaboration. Néanmoins, Yves Kübler se défend d’avoir voulu surfer sur cette mode.
Tout a commencé vers 2014-2015 quand un client japonais, qui importait déjà notre absinthe, nous a approchés pour créer un gin différent, moderne, pour plaire au goût des consommateurs japonais,
relate le distillateur de Môtiers. Au départ, Yves Kübler n’est pas très emballé par la proposition car la fabrication du spiritueux est complexe et exigeante. Ainsi, il tente de proposer divers gins suisses à son client nippon, sans succès.
Aucun produit ne convenait parfaitement, alors nous avons finalement décidé de nous lancer,
continue celui qui avait certes officié dans des dégustations de gin, mais n’avait jamais pensé en produire.
Trois années et beaucoup d’essais
Comme pour l’absinthe, le gin c’est avant tout une recette et l’élaboration de celle de la maison Kübler a nécessité trois ans.
Pour trouver le mélange parfait, nous avons bien dû faire une quinzaine d’échantillons,
se remémore Yves Kübler, en soulignant l’impératif de créer un spiritueux conforme aux palais nippons. Le distillateur nous explique que comme pour d’autres alcools, les Japonais apprécient des produits épurés et aux arômes fins. Ainsi, la présence de genièvre, principal marqueur aromatique du London Dry gin traditionnel, ne devait être que délicate. Le résultat des trois années de travail est un subtil équilibre entre les notes épicées et florales, le tout avec une grande fraîcheur. Cette qualité a d’ailleurs été soulignée par une médaille d’argent au Swiss Spirits Awards.
Nous avons proposé notre gin pour observer à quel niveau il se situait,
poursuit Yves Kübler. Visiblement, le défi de créer un gin moderne, fin et aromatique est réalisé.
L’autre défi fut de répondre aux exigences de la législation Swissness qui demande que 80% des matières premières soient suisses.
Par exemple, il nous est difficile de nous fournir exclusivement en genièvre suisse,
détaille Yves Kübler, en soulignant que la réussite du spiritueux dépend de la qualité des matières premières et notamment, la pureté de l’alcool de grains et de l’eau. Cependant, la distillerie de Môtiers a surmonté le défi et presque la totalité des fleurs, baies et herbes aromatiques est régionale ou helvétique.
« C’est un peu de la dînette ! »
Débutée il y a une année, la commercialisation du Swiss Dry Gin Kübler a été quelque peu tronquée par la crise sanitaire.
Environ mille bouteilles ont été expédiées au Japon juste avant que la pandémie débute là-bas,
relate Yves Kübler. Susceptible de plaire à une clientèle internationale, la vente du spiritueux dans les magasins duty-free des aéroports suisses a également été envisagée, mais à leur tour ces commerces ont fermé.
Difficile de lancer ce type de produit quand bars et restaurants sont fermés,
ironise-t-il, en attendant des jours meilleurs pour la promotion du gin Kübler. Justement, ce nouveau produit a-t-il vocation à se développer à l’avenir ? Yves Kübler tempère nos ardeurs et tient à rappeler que cela reste un produit de niche. La quantité de Swiss Dry Gin s’élève à 2000 litres, soit une part infime de la production de la distillerie.
Pour tout vous dire, c’est un peu de la dînette,
plaisante-t-il. La capacité de production est déjà presque à son maximum et augmenter celle de gin exigerait des investissements logistiques.
Une nouvelle fois, le producteur d’absinthe insiste sur le caractère confidentiel de son produit.
En suisse, le nombre de producteurs de gin a explosé ces dernières années, sans compter tous les gins importés,
explique-t-il, en évoquant rapidement le marché des spiritueux. Plus de publicité et de marketing serait onéreux et le produit phare demeure l’absinthe. Toutefois, il nous confie que son Swiss Dry Gin figure sûrement sur le podium helvétique en la matière. Dernière chose, a-t-il un conseil de dégustation, une recette de cocktail ?
Cela est du gin, mais pourquoi pas avec un peu d’eau gazeuse et du concombre ou avec un bon tonic à la bulle pas trop fine,
nous glisse-t-il, sans vouloir s’improviser mixologue.
Gabriel Risold