Salle des Mascarons n°1
Mille histoires pour cinquante ans de culture
Le 17 avril 1971 se tenait l’inauguration du Musée des Mascarons et de sa salle polyvalente. Cette dernière qui n’avait rien de celle d’aujourd’hui, était gérée par l’Union des jeunes du Val-de-Travers, qui allait devenir le groupe Alambic. Retour sur les débuts de ce projet avec Jean-Paul Debrot, ancien président de l’Union des jeunes du Val-de-Travers et du groupe Alambic.
Malgré les années, le regard de Jean-Paul Debrot continue de pétiller à l’évocation de la « création » de cette salle à vocation culturelle et de cette soirée d’inauguration qui avait vu le trio bernois « Peter, Sue & Marc » jouer pour près de 250 personnes et un parterre d’invités. Le groupe suisse alémanique venait alors de participer à l’Eurovision.
L’histoire de leur participation est question de relations,
résume Jean-Paul Debrot.
En effet, il se trouve qu’une personne proche de l’Union des jeunes du Val-de-Travers a une cousine à Berne qui est dans le milieu musical. Contact est donc pris avant le concours pour un concert à Môtiers. Et le deal est direct : le trio bernois vient pour l’inauguration de la salle quel que soit son résultat au concours continental.
C’était en avril et la température était assez basse,
se rappelle Jean-Paul Debrot. Pour la promotion de la soirée, l’équipe de l’Union organise pour le groupe une tournée dans le Vallon à bord d’une voiture décapotable d’un médecin de la région.
On a bien cru que la chanteuse ne pourrait jamais chanter tant elle était frigorifiée,
sourit l’ancien président de l’association en soulignant que la scène prévue n’était pas plus chaude que la température extérieure.
Il faut rappeler que la salle qu’investit, en 1970, l’union des jeunes, n’est qu’une ancienne grange adjacente au bâtiment des Mascarons qui va devenir le Musée d’histoire et d’artisanat du Val-de-Travers. La salle est froide et « vieillotte », tout y est à refaire. Le futur groupe Alambic puise un peu dans ses fonds personnels et dans l’énergie de ses membres pour la remettre en état.
Heureusement, nous avons pu compter sur des personnes qui n’avaient rien à faire le mercredi après-midi !
rigole Jean-Paul Debrot en ajoutant que le premier jour, plusieurs amis sont heureux de décaper les parois, mais qu’après le troisième mercredi beaucoup se désistent. Ainsi, les balbutiements de la salle des Mascarons sont plus qu’artisanaux.
Premier projet culturel en 1969
Mémoire de ces années au Val-de-Travers, Jean-Paul Debrot arrive à se souvenir quand est née la genèse du projet culturel: faute d’une heure d’ouverture tardive au foyer des jeunes de Couvet, l’Union des jeunes du Val-de-Travers se retrouve « en face » dans les bistrots ouverts. Là, germe l’idée de créer un spectacle musical additionné d’un bal à la salle polyvalente de Fleurier. Le groupe d’amis réunit d’autres camarades aux compétences diverses et multiples derrière l’idée de ce spectacle et le projet aboutit au début de l’année 1969.
Certaines personnes étaient sceptiques, elles nous disaient « bon courage » avec à l’esprit le secret espoir qu’on se plante,
analyse Jean-Paul Debrot. Malgré les mauvais génies, le projet de la jeunesse du Val-de-Travers est un succès et engendre une question : quelle est la suite ?
Les jeunes décident alors de poursuivre l’organisation d’événements culturels, promeuvent des concerts, des pièces de théâtre et mettent sur pied une quinzaine culturelle au mois de mai 1969, mais toujours sans avoir à disposition de locaux dédiés. Ces réussites attirent l’attention d’Eric-André Klauser, conservateur de ce qui va devenir le Musée régional d’histoire et d’artisanat et de Jean-Claude Reussner, le président. Ainsi, lorsque le Musée de Fleurier prend possession de la Maison des Mascarons de Môtiers, ils décident de créer dans la « grange » adjacente une salle polyvalente et d’en confier l’animation culturelle à l’Union des jeunes du Val-de-Travers. Le jeune et dynamique comité, composé de Charles-Edouard Bobillier, Serge Franceschi, François Gubler, Jean-Louis Hadorn, François Jeannin, François Rossel, Jacques Rufini et Jean-Paul Debrot accepte et se lance dans la remise en état sommaire de la salle, puisque celle-ci demeure non chauffée et très mal insonorisée.
De grands et futurs grands noms
Après la réussite de l’inauguration et le concert de « Peter, Sue & Marc », l’Union des jeunes du Val-de-Travers poursuit ses recherches pour trouver des spectacles et des artistes.
Je me suis rendu quelques fois à la bourse aux spectacles à Bienne, mais souvent les opportunités se présentaient grâce aux relations et aux connaissances,
évoque Jean-Paul Debrot, en soulignant le « flair » de Jean-Jacques Charrère pour établir des contacts. Selon l’ancien président de l’Union, c’est lui qui avec son entregent parvient à convaincre les écoles de payer pour des sessions de l’après-midi réservées aux élèves, ce qui permet d’alléger les charges des sessions du soir pour l’Union.
Durant les premières années, à côté des troupes et artistes de la région, l’Union des jeunes du Val-de-Travers peut s’enorgueillir d’avoir accueilli aux Mascarons des futurs grands noms comme le guitariste José Barrense-Dias en 1971, Vorher und Verloren (futurs fondateurs des Mummenschanz), le mime Dimitri ou le chanteur français Ricet Barrier en 1972. Au sujet de José Barrense-Dias, Jean-Paul Debrot a d’ailleurs une petite anecdote.
Nous étions vraiment heureux de l’avoir et nous lui avions dit de venir à Môtiers par le train, mais lorsqu’il est arrivé à la gare, personne n’était là pour l’accueillir puisque nous étions tous affairés à nettoyer et préparer la salle. Nous n’y avions pas pensé,
rigole l’ancien président de l’Union. Ainsi, il faut imaginer le guitariste brésilien seul, cherchant son chemin, dans les rues de Môtiers en plein après-midi…
Oppositions et réticences
Cependant, la vivacité culturelle de la nouvelle salle ne fait pas l’unanimité du voisinage et des autorités communales. L’ancien président de l’Union des jeunes, devenu groupe Alambic en 1972, se remémore très bien le « triumvirat » qui s’oppose à eux : un président de commune qui les qualifie de « graine de communiste », un chef de la police et un juge qui « fait la pluie et le beau temps ».
Bon, c’est vrai qu’à l’époque, nous aurions dû faire un peu plus attention,
s’amuse Jean-Paul Debrot. Comme, peut-être, lors de ce concert « pop » en 1973. Les trois groupes présents attirent alors plus de 300 personnes de toute la Suisse romande, voire de plus loin.
Dans le village paisible de Môtiers ! Cela faisait un peu désordre… ,
rigole-t-il. Néanmoins, le plus caustique est pour le dimanche matin, lorsque le club de tir se rend au stand.
Ils ne pouvaient pas tirer car des dizaines de tentes de camping étaient plantées sur le terrain et masquaient les cibles,
continue Jean-Paul Debrot, un sourire aux lèvres. La cohabitation entre la population et le groupe Alambic n’est pas aisée et se termine, un soir de « jam session », par l’intervention de la police et l’évacuation du public.
Face aux réticences des Môtisans, l’équipe des Mascarons se lance dans une entreprise de séduction avec une « Campagne sourire » qui progressivement permet d’amadouer les habitants. Parallèlement, le Musée régional parvient à réunir les fonds pour rénover la toiture, installer électricité et chauffage et munir la salle de projecteurs et de chaises. L’ancienne grange « rafistolée » est enfin salle de spectacle et théâtre.
Et le premier véritable succès arrivera en 1976, avec le spectacle « Un Vallon… comme ça ! » de Claude Montandon, avec le Groupe théâtral des Mascarons, un orchestre conduit par Bernard Contesse et l’équipe technique du groupe Alambic. Lors de seize représentations, la salle affiche complet. L’élan décisif est donné et le succès de la salle ne faiblira plus.
Jamais, nous nous sommes vus comme des promoteurs de la culture dans une région périphérique. La volonté était surtout de s’amuser,
conclut Jean-Paul Debrot, modestement. C’était peut-être involontaire, mais c’est réussi.