Pendu aux fils de l’histoire
L’histoire est partout au Val-de-Travers. Chaque discussion et chaque regard posé sur le décor vallonnier peuvent être prétexte à évoquer un pan du passé régional. Les souvenirs ne manquent pas, c’est comme si vous tiriez un fil et que vous tombiez automatiquement sur un récit. Parfois glorieux, parfois moins. Mais peu importe ! De toute façon, il est complètement insensé et improductif de juger le passé à l’aune de nos valeurs et coutumes actuelles. Cette fois, je suis parti explorer un lieu aux souvenirs sombres et sanguinolents : le Gibet. Situé entre Boveresse et Couvet, il a servi de cadre naturel aux exécutions par le feu, par pendaison et par décapitation.
Il y a des lieux dont beaucoup ont entendu parler bien qu’ils aient disparu depuis longtemps. Le Gibet a fait sa dernière victime il y a 188 ans et il hante pourtant encore l’esprit de bien des Vallonniers. Mais si beaucoup ont entendu parler des exécutions qu’il s’y passait, peu connaissent les contours exacts de ce qui est devenu une légende au fil du temps. Heureusement, certaines mémoires du Vallon sont toujours extrêmement habiles lorsqu’il s’agit de « tirer sur le fil » de l’histoire. Je remercie ainsi Charles Michel pour son coup de main apprécié sur ce sujet. Entrons ensemble dans le vif du sujet. À l’époque, on préférait plutôt tirer sur des cordes que sur des fils dans le domaine judiciaire. Selon les archives, la châtellenie (juridiction dʼun seigneur châtelain) du Val-de-Travers a prononcé 33 exécutions au château de Môtiers – où les sentences étaient prononcées – entre 1580 et 1626. En fonction de leur crime et de leur appartenance sociale, les condamnés pouvaient être pendus, décapités ou brûlés. C’est ainsi que se passait la justice de l’époque !
Dernière exécution en juin 1834
Il faut savoir qu’au 18e siècle, le canton de Neuchâtel était divisé en vingt-deux juridictions civiles et en dix juridictions criminelles. La châtellenie du Val-de-Travers regroupait les villages de Couvet, Môtiers, Boveresse, Fleurier, Saint-Sulpice et Buttes. Les peines capitales sont allées decrescendo au 18e siècle. Il y en a eu « seulement » 9 entre 1707 et 1806. La dernière mise à mort s’est tenue au Gibet le 27 juin 1834. J’y reviendrai. Dans les faits, un accusé résidant dans l’une des six communes précitées était écroué dans un cachot du château de Môtiers. Puis, la Cour de justice de la châtellenie se réunissait pour son jugement. Vingt-quatre juges et justiciers, nommés par le Conseil d’État, y siégeaient.
Pendant la procédure, ils étaient nourris directement au château.
Un peu de pain et de fromage, parce que sans cela, ils se dégoûteraient et ne tiendraient pas pied ferme,
selon un acte de 1628. Ils recevaient 12 batz par journée pour leur travail, soit environ 1.70 franc. Pour l’anecdote, la juridiction a longtemps englobé Les Verrières et La Brévine. Autre anecdote, Travers avait le droit d’infliger la peine de mort mais pas de l’exécuter. C’est pourquoi un condamné à mort, sa procédure à la main et la corde au cou, devait se rendre jusqu’au château en cortège pour aller demander l’exécution de sa sentence à Môtiers. À partir de là, et une fois sa sanction capitale confirmée, il avait droit au même décorum que les malfaiteurs de la châtellenie du Val-de-Travers.
Corps brisé à coups de barres de fer et fixé à une roue de char
Après avoir veillé toute la nuit en compagnie de pasteurs, un condamné à mort devait faire le chemin séparant son cachot du Gibet, où il allait y laisser la vie. Au son des cloches, il avait environ une heure de marche pour voir la mort arriver. Derrière lui, les gendarmes, les justiciers, les bourreaux et les spectateurs formaient un cortège souvent très étoffé. Les exécutions étaient gage de succès populaire certain. On allait au spectacle ! Il faut dire que les supplices avaient de quoi marquer les esprits tant ils se voulaient brutaux. Le but était tout autant de punir que de servir d’exemple. Langue percée pour des menaces, bras droit coupé pour avoir frappé un parent et d’autres « mises en bouche » du style n’étaient pas rares avant que le coup de grâce ne soit donné. La sanction dite de la roue était aussi utilisée.
Dans ce cas, le condamné avait tous les membres brisés à coups de barres de fer puis son corps désarticulé était fixé à une roue de char, au sommet d’un poteau. Les « chanceux » souffraient quelques heures avant de mourir alors que d’autres pouvaient agoniser plusieurs jours. Dans d’autres cas, le condamné était brûlé après avoir été roué de coups et ses cendres étaient jetées au vent. Le dernier Vallonnier à avoir perdu la vie au « Gibet de Boveresse » est Charles-Frederich Reymonda. Il a vu son sort basculer en 1833 après avoir volontairement noyé un homme du côté du Cachot (La Brévine). Pour le meurtre de François Isoz, il fut décapité par un bourreau en cape rouge, le 27 juin 1834. Un autre temps certes mais justice était faite ! Même le Courrier n’existait pas encore à cette époque (il est né 20 ans plus tard). Et le fil de cette histoire-là n’est pas prêt d’être coupé !
Kevin Vaucher