Raconte-nous une histoire grand-maman…
Aucune autre période que celle de Noël n’est aussi propice aux histoires. La neige qui tombe semble comme réunir les gens par une solidarité et une connivence qui font parfois défaut le reste de l’année. Noël rapproche, dit-on. Noël permet aussi de se retrouver, en famille ou avec des proches. Les générations se mélangent et émergent alors des histoires d’un autre temps que l’on peine parfois à croire tant elles semblent venir d’un autre monde, lointain. Souvent vécues par les anciens, ces histoires font pratiquement partie de l’ambiance de Noël. On essaie ?
Ce jour-là, il a neigé sur le Vallon. Lorsque j’arrive chez Marcelle Divernois, la nonagénaire hyperactive est drôlement calme. L’obscurité typique des fins d’après-midi d’hiver est juste bousculée par une petite lampe d’appoint. La « grand-maman » est assise à une table dans l’enfilade de la cuisine. Elle regarde dehors et s’émerveille d’une bataille de chardonnerets « à poils rouges », dit-elle.
À ses pieds, une ombre noire casse cette scène d’un doux grognement ou de quelque chose qui s’en approche. « C’est mon chat Briquette. Il a 14 ans. Il est un peu envahissant mais je l’aime énormément. »
Une histoire de cerises
Une fois que Briquette s’est fait à ma présence, Marcelle retrouve de la vigueur. « Allez, je vous raconte une ou deux histoires et je vous laisse filer. » Faisons ça ! Toutes les histoires de la Vallonnière sont tapissées par le village de Saint-Sulpice. C’est là qu’elle a vécu dans une famille de huit personnes. « Il y avait aussi notre ami René. C’était le fils d’une voisine qui faisait le tapin et on s’est pris d’affection pour lui », laisse-t-elle filer dans un naturel qui lui correspond tout à fait.
La nature, Marcelle Divernois aime ça ! Elle se rappelle encore ces journées passées à cueillir des cerises avec sa maman. Tiens, cela lui rappelle justement une histoire avec une autre voisine. Celle-ci ne faisait pas le tapin mais « elle était sale », précise-t-elle.
Un accordéon et une batterie
« Une fois, nous avions apporté des cerises à cette voisine car on aimait bien partager le peu qu’on avait. Et quelques jours plus tard, elle nous a donné un bocal de cerises stérilisées pour nous remercier. Problème, elles étaient bourrées de vers. J’étais toute gamine et cela me dégoûte encore. » Qu’il soit de Noël ou non, un cadeau ne se refuse pas paraît-il… D’autant qu’à l’époque, il fallait savoir se contenter de peu de chose. « Un accordéon et une batterie et nous dansions toute la nuit au bal », confirme-t-elle dans son élan. En parlant d’élan, la « grand-maman » se lève maintenant de sa chaise et se met à chanter.
Les pompiers qui font rire
« Vous connaissez la ‹ ronde de Macadam › ? » Pas que je sache non ! « Nous chantions souvent ces paroles (elle se met à chanter) à l’école. Nous avancions petit à petit en rythme et nous nous accrochions par les épaules. Le rond s’agrandissait de plus en plus jusqu’à ce que les 50 enfants arrivaient à tourner entièrement autour du collège. » La vie du village se déployait à chaque occasion dans les rues.
Les pompiers sortaient de temps en temps pour faire des démonstrations par exemple. « C’était d’un burlesque absolu ! J’espère qu’ils ne m’en voudront pas mais qu’est-ce qu’on a pu rigoler avec ça. C’était encore très amateur, à l’ancienne quoi. Lorsqu’ils tentaient d’éteindre l’incendie fictif, la puissance était tantôt trop faible (et ils se mouillaient les pieds) et tantôt trop fort (et l’eau passait par-dessus la maison). »
« Je parle beaucoup hein ? »
La nonagénaire n’est pas plus « indulgente » avec les acteurs amateurs qui égayaient certaines soirées. « Ils oubliaient régulièrement leurs répliques et ils s’embrouillaient ensuite sur scène. C’était du vrai Charlot », finissait-elle par trouver son compte. En parlant de compte, n’avait-on pas dit une ou deux histoires ? « Oui, je parle beaucoup hein ? » Tout est question de point de vue Marcelle. « Une petite dernière pour la route alors ? » Avec plaisir, ce serait dommage de s’en priver. « Lors d’une soirée de Noël, je me souviens de Lucie qui racontait sa poésie. Tout le monde l’aimait beaucoup cette petite. Ses parents avaient été envoyés dans des camps de concentration durant la guerre. Elle récitait ‹ Au clair de la lune › et elle a fondu en larmes au moment de dire ‹ ma chandelle est morte ›. Sans doute que cela lui a fait penser à la mort. C’était triste et ça m’a marquée durablement. » La neige s’est maintenant arrêtée de tomber. Les chardonnerets se sont envolés depuis bien longtemps.
Il est temps de refermer le livre à histoires. Merci « grand-maman »….
Kevin Vaucher