Stähli, comme un parfum d’Italie
Terroir et gastronomie
C’est le fromage estival par excellence : la mozzarella et qui plus est son summum, celle au lait de bufflonne. Venue de Campanie et du sud de l’Italie, la boule de pâte filée s’est, depuis plusieurs années, imposée comme un ingrédient indissociable des beaux jours et des salades d’été. Hors, la famille Stähli en produit à Travers depuis plus de quinze ans. Rencontre avec un des pionniers de la mozzarella suisse, Daniel Stähli.
Au cours de cet été caniculaire et presque sans l’once d’une goutte d’eau, il est hautement probable que vous en ayez mangé : la mozzarella. En septembre 2018, le Bulletin du lait de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) révélait que le fromage le plus consommé par les Suisses était la mozzarella, devant des fleurons de notre production fromagère, comme le gruyère, l’emmental, l’appenzeller, le vacherin ou encore le raclette du Valais. Cette analyse fait sourire d’ironie Daniel Stähli.
Ces classements recensent tous les fromages à pâte filée,
recadre-t-il, en ajoutant que son produit n’a « rien à voir » avec ceux-ci. En effet, lorsque le fromager de Travers nous propose de déguster une de ses boules de mozzarella au lait de bufflonne, l’aspect, la texture puis le goût n’ont pas grand-chose en commun avec ce que l’on trouve malheureusement trop souvent dans nos assiettes.
L’histoire de la fabrication de ce fromage, originaire de la partie sud de botte italienne, au Val-de-Travers remonte à une vingtaine d’années, au tournant du siècle. Dans une volonté de diversification, l’agriculteur vallonnier accepte de creuser une idée née avec divers partenaires de créer un élevage de bufflonnes. Très vite, et après des voyages en Italie, il constate que l’exploitation pourrait être rentable et profitable. Le 19 janvier 2000, 16 bêtes venant de la Botte, 9 bufflonnes et 7 bufflons, arrivent au Vallon, après plusieurs démarches administratives et sanitaires. à l’époque, c’est une première et une opération de pionnier. Au départ, l’exploitation vend le lait de ce troupeau, mais rapidement naît la volonté de transformer cet or blanc laiteux et de le commercialiser directement. Ainsi, Daniel Stähli va observer, questionner, s’informer, sur la fabrication de la fameuse mozzarella, en Italie, où il n’est pas toujours totalement le bienvenu, dans un pays et dans une activité où le savoir-faire ne s’apprend pas, mais est su dès le plus jeune âge. Rien n’y fait, la fromagerie Stähli produit et vend à ses propres clients ses mozzarella depuis 2007.
Rien à envier à une AOP
Au regard de l’évolution du marché et de la place prépondérante que prend le fromage à pâte filée du sud de la Botte, on peut penser que Daniel Stähli fut un visionnaire, il réfute.
Nous avons pris ce choix au bon moment,
tranche-t-il avec son franc-parler, peut-être tout juste avance-t-il le terme de « pionnier ». Quoi qu’il en soit, depuis une quinzaine d’années, la mozzarella du Val-de-Travers a connu une « belle croissance » et acquise « une belle notoriété ». Les chiffres, Daniel Stähli ne les apprécie pas tellement, aussi, nous ne parlons ni de quantité de production, ni de nombres de clients, mais, il nous avoue tout de même que l’entreprise délivre plus de 200 supermarchés en Suisse romande et que plusieurs grossistes spécialisés dans la gastronomie proposent son produit. Une mozzarella qui semble être appréciée par quelques restaurateurs de la région (lire encadré).
Justement, qu’est-ce qu’une bonne mozzarella ?
Elle doit être onctueuse, juteuse, avec un arôme lacté légèrement acidulé et faire plaisir au palais,
explique Daniel Stähli en coupant son produit. Après dégustation, il est vrai que celle du Val-du-Travers coche toutes les cases. Néanmoins, parvient-elle à la hauteur d’une AOP mozzarella di buffala Campana ?
Je pense que nous n’avons rien à envier à l’appellation,
estime Daniel Stähli, qui nous dresse en vitesse les atours de la certification qui permet moult adaptations au cahier des charges, comme des transferts de lait en camion, et parfois de l’étranger. Pour la famille Stähli, le processus de fabrication entre l’arrivage du lait à la fromagerie et l’obtention du produit final, il n’y a que 7 heures, chose rare pour un même produit selon Daniel Stähli. Par hasard, le fromager a une mozzarella d’Italie au frigidaire. Place à une petite dégustation comparative, et il faut reconnaître que la boule blanche du Val-de-Travers est plus goûteuse et agréable en bouche.
Un lait, plusieurs produits
Son lait de bufflonne, Daniel Stähli ne le réserve pas que pour la fabrication de mozzarella. Depuis plusieurs années, le fromager élargit son panel de produits à base de ce lait plus riche que celui de vache, mais également plus digeste, en proposant désormais de la burrata, variante fromagère du sud de l’Italie où une boule de mozzarella est farcie de crème, et de la stracciatella, autre fromage à pâte filée originaire des Pouilles.
Des produits fruits de longs processus de tests dans l’objectif de diversifier l’offre de la fromagerie, comme l’est aussi la tomme ou des glaces au lait de bufflonne. Une offre multiple qu’il faut faire découvrir à la clientèle.
C’est un travail de prospection, de dégustation publique, de persuasion des directeurs des achats,
explique Daniel Stähli, en avouant que depuis deux ans et la pandémie, le lien avec le public a été interrompu. Toutefois, il note que sa meilleure publicité est la qualité et le « bouche-à-oreille ».
Depuis maintenant plus de vingt ans d’élevage de bufflonnes et une quinzaine d’années de production de fromage avec ce lait, Daniel Stähli voit toujours un potentiel et un « avenir agricole » dans cette voie, et ce, contre certaines mauvaises langues.
Je crois pouvoir dire que nous sommes un élevage référence en Europe,
avance-t-il, en mettant en avant la qualité génétique du cheptel familial. Famille, c’est justement la manière de fonctionner des Stähli, d’où notre interrogation légitime sur le futur, une relève est-elle présente ?
Je peux dire que la relève est multiple, abondante, directe et indirecte,
précise-t-il avec satisfaction. Certainement, une bonne nouvelle pour une exploitation pionnière et qui continue d’innover, le projet de lancer une fabrication de scamorza, fromage à pâte filée et fumé, est dans les têtes.
L’idée existe et elle est au programme,
répond le fromager qui, à l’origine, il faut le préciser, n’aimait pas ce fromage. Mais, Daniel Stähli avoue qu’il faut accepter « de ne pas tout savoir » et de « se remettre en question ».
Et côté cuisine ?
Depuis plusieurs années, la fromagerie Stähli est l’un des fournisseurs de l’Hôtel de l’Aigle à Couvet qui propose à ses clients différents produits issus de l’élevage de bufflonnes.
En matière de mozzarella je ne mange plus que celle-ci,
avoue Arnaud Destribois, sous-chef à l’Aigle depuis quatre ans.
Elle ne ressemble en rien à ce qu’il y a dans le commerce. Elle est plus juteuse, plus filandreuse et avec un goût plus marqué,
poursuit-il, en ajoutant que le facteur de proximité a son importance également. Et en cuisine, Arnaud Destribois explique que le fromage à pâte filée peut aussi se travailler dans certaines recettes.
Pour une balade gourmande, nous avons élaboré un cake à la mozzarella et aux tomates séchées. Et en fondue, cela marche bien,
avance le cuisinier qui apprécie aussi travailler la viande de bufflonne de l’exploitation. Une viande relativement maigre et dont le goût se situe entre celui du bœuf et celui du bison. Enfin, il y a quelques années, pour la chaîne de télévision Canal Alpha, le chef de la Maison du Prussien, Jean-Yves Drevet, aux 16 points Gault & Millau, s’était également prêté au jeu d’apprêter la mozzarella de la famille Stähli en crème froide pour accompagner une entrée de palée du lac de Neuchâtel. La vidéo et la recette en question sont aisément accessibles sur le site internet de la chaîne. De quoi donner quelques inspirations et sortir de l’indémodable « Insalata caprese »