Terrasses
Le grand froid
La décision du Conseil fédéral actant la réouverture des terrasses au lundi 19 avril a fait pschitt auprès des restaurateurs. Elle est davantage perçue comme un « su-sucre » destiné à faire taire la grogne qu’un réel geste envers eux. Certains tenanciers vallonniers ont d’ailleurs fait le choix de garder porte close même si la majorité a opté pour la réouverture malgré la météo rafraîchissante. Prise de température.
Au contact des restaurateurs en cette semaine de réouverture des terrasses, j’ai rapidement saisi le désarroi qui était le leur.
J’espère qu’ils savent ce qu’ils font et qu’ils ont un plan en tête mais cette décision tient plus du symbole qu’autre chose,
résume parfaitement Joël Bock. Le patron du pub L’Irlandais de Fleurier a malgré tout décidé de réinstaller sa terrasse. Il a même ajouté une cantine supplémentaire sur le côté de son établissement avec la bénédiction de la commune de Val-de-Travers.
Ils sont plutôt arrangeants avec nous même si en finalité c’est la météo qui aura toujours le dernier mot lorsqu’on parle de service en extérieur. Autant dire que le début de semaine a été très calme.
Les conditions s’annoncent meilleures ce week-end, de quoi rallumer un peu l’espoir de ceux qui en bavent depuis plusieurs mois.
Pas rentable, cadeau empoisonné…
Cela restera toutefois insuffisant pour réchauffer l’ambiance. Ce frileux allégement des restrictions est loin de faire l’unanimité.
C’est compliqué pour nous aussi même si on a une belle terrasse et que les plats à l’emporter ont toujours très bien fonctionné. On est loin de notre capacité maximale avec nos trente-huit places en terrasse,
déplore la nouvelle boss de Pizza’Fun, Mélanie Fernandes.
Cette situation ne me satisfait pas du tout et nous laisse dans l’incertitude totale pour la suite. En plus de ne pas être du tout rentable.
En maniant l’humour, elle met en avant une autre crainte :
Comme j’ai repris le restaurant en janvier 2021, je me devais vraiment d’ouvrir. Sinon, on allait dire que la nouvelle patronne n’avait pas envie de travailler.
Derrière son cas personnel, se cache une inquiétude partagée par bon nombre de ses collègues au sujet de la relation avec les clients.
C’est un cadeau empoisonné que nous a fait la Confédération,
tacle Claude Bourquin du Cavallino Snack-bar de Fleurier.
Si on n’ouvre pas, on prend le risque d’être incompris par nos clients et on se retrouve ainsi en porte-à-faux. Un peu plus et on passerait même pour des personnes de mauvaise volonté,
complète celui qui a finalement choisi de ne pas reprendre son activité pour le moment. Et pourtant, je sens dans son discours une grande impatience de goûter à nouveau aux coups de feu dans des salles combles.
Limiter la casse financière
Je cerne aussi un ras-le-bol généralisé de cette situation qui n’avance pas. Dans ces conditions, les vingt-trois couverts réalisés par Pizza’Fun et les cinq repas servis par le Lion d’Or de Buttes lundi midi font presque office de signes encourageants.
Disons que je ne m’y attendais pas forcément comme il faisait neuf degrés,
reconnaît la tenancière butterane Elisa Poletti. Cette dernière peut compter sur une quarantaine de places en terrasse en respectant la distance de 1m50 demandée entre chaque table.
On peut accueillir deux à trois fois plus de clients d’habitude. J’ai ouvert car je n’ai reçu aucun centime d’aide de l’État jusqu’à présent.
Gérante du Lion d’Or depuis décembre 2019, elle ne remplissait hélas pas toutes les conditions pour bénéficier des aides de la Confédération.
Je n’ai touché que 600 francs d’APG par mois. C’est donc vital pour moi d’essayer de limiter la casse. C’est pour cette raison que je continue la vente à l’emporter et les livraisons. J’espère que les politiques prendront rapidement conscience de l’urgence qu’il y a de lever l’interdiction pour l’intérieur également.
Le constat est le même pour Claude Bourquin qui se montre encore plus critique.
On nage dans le ridicule avec cette décision en trompe-l’œil.
« Des doudounes pour tout le monde ? »
Particulièrement remonté, il détaille son point de vue :
Le seul point positif, c’est qu’on peut le voir comme un pas de plus vers une normalisation de la situation. Mais travailler uniquement avec les terrasses en plein mois d’avril au Val-de-Travers, c’est inutile. Ou alors on achète des doudounes pour tout le monde, c’est une idée,
plaisante-t-il le cœur serré et lourd.
Je rigole mais je parle de choses concrètes. Sur six mois on a pu ouvrir quinze jours. Juste le temps de faire les stocks, de devoir refermer boutique et de tout pouvoir jeter. Et que se passera-t-il si on ouvre et qu’il vient un gros orage à 11 h 45 juste avant le service ?
Une inquiétude souvent évoquée par les restaurateurs tout comme le souhait de pouvoir tout rouvrir d’ici un à deux mois maximum. La digestion risque d’être longue et douloureuse.
Kevin Vaucher