Tondeuses « en jachère » au printemps, l’été sera verdoyant !
Durant des siècles, posséder un coin de terre représentait une véritable richesse qui permettait notamment de s’alimenter, puis notre vision des jardins a évolué jusqu’à devenir des lieux de loisirs d’où l’on chasse la vie à tout prix, souvent au détriment de notre santé. Comment en sommes-nous arrivés là ? Et Comment pouvons-nous réconcilier biodiversité, esthétisme et praticité ?
90 % de nos prairies et pâturages secs ont disparu en un siècle
La Suisse et ses paysages de carte postale nous donnent l’impression que les sols fertiles, l’air pur, les aliments sains et l’eau potable vont de soi dans notre pays, alors que la moitié de nos milieux naturels est menacée ou détruite et que la qualité de notre air et de notre eau potable se détériore d’année en année. Les causes sont multiples : la perte d’habitats naturels au profit des surfaces de construction, la « surfertilisation » des sols, l’utilisation d’herbicides et de pesticides, le compactage et l’érosion artificielle des sols, la pollution aux microplastiques, l’envahissement d’espèces exotiques au détriment des écosystèmes locaux.
Un sol vivant nous protège et nous rend plus résilients
Un sol sain abrite une vie foisonnante et est la base d’une alimentation de bonne qualité. Il soutient la croissance de végétaux et d’animaux de toutes tailles, mais aussi la stabilité des constructions humaines. Plus un sol est vivant, plus il est stable et poreux et plus il permet à l’air et à l’eau de circuler. Il filtre alors les polluants, ce qui protège la qualité des nappes souterraines, donc la potabilité de notre eau.
Il permet également d’atténuer les risques de ruissellements et d’inondations lors de phénomènes de précipitations extrêmes, et la végétation peut permettre de protéger les écosystèmes des sécheresses intenses. Régénérer nos sols et donc nos espaces verts devrait être une priorité absolue pour nous garantir une vie saine, une alimentation durable, mais aussi pour atténuer et mieux nous adapter aux changements climatiques.
Que peut-on faire à l’échelle locale ?
Nous avons, chacun avec nos moyens, le pouvoir de régénérer nos espaces verts en commençant par nos jardins. La bonne nouvelle est que, pour une fois, la solution est de commencer par ne rien faire. Effectivement, un écosystème en bonne santé est un écosystème vivant et équilibré et la nature est très douée pour se régénérer et retrouver son équilibre quand on lui laisse un peu de temps. Il existe néanmoins des moyens de lui donner des coups de pouce (voir encadré sur les trucs et astuces). La deuxième bonne nouvelle est qu’un jardin vivant et bien équilibré est moins sujet aux invasions de « nuisibles » et autres maladies et il est moins gourmand en eau. Il pourra également éviter l’utilisation de produits chimiques qui altèrent la qualité des sols, des eaux, de l’air et donc notre santé.
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Trucs et astuces pour un jardin vivant et durable
Par Timothée et Stéphane
• Ne vous pressez pas de sortir vos tondeuses, laissez fleurir votre pelouse et tondez-la haute en commençant par le centre et de façon circulaire afin de laisser un point de fuite aux insectes et autres animaux. Plus la végétation sera haute et dense, mieux elle résistera aux grandes chaleurs et elle rendra le sol plus résilient à la sécheresse.
• Laissez des zones refuges (îlots) non tondues pour la faune dans votre gazon. Alternez les endroits d’une année à l’autre. Le mieux étant de veiller à ne pas enrichir ces zones et, pour ce faire, ne laissez pas les déchets verts sur le sol après avoir fauché.
• Récupérez vos déchets de tonte comme paillage pour vos cultures de légumes (gourmandes en azote).
• Plantez des plantes couvre-sol afin de ne pas avoir besoin de désherber et de limiter l’arrosage.
• Laissez les fleurs du gazon fleurir et grainer, afin d’en avoir toujours plus avec le temps et de régénérer la biodiversité.
• Plantez vos primevères ou autres petites fleurs de printemps reçues en terrine en vue de renaturer votre jardin.
• Apportez du compost ou du fumier bien décomposé sur son potager, ses massifs et pelouses.
• Repérez les jolies prairies fleuries du coin en vue d’y récolter des graines à ressemer dans vos espaces verts.
• Si vous n’avez pas de jardin, ne pas hésiter à verdir votre balcon ou vos murs extérieurs.
Lectures du mois
▶ Histoire des jardins, Philippe Prévôt Ed. Ulmer, 2016
▶ Jardins de rêve, Claire Takacs, Ed. Delachaux & Niestlé, 2023
▶ Tout comprendre (ou presque) sur la biodiversité, Claire Marc, Philippe Grandcolas, CNRS Éditions, 2023
Repensons nos espaces verts avec deux de nos paysagistes vallonniers
« Les jardins sont le reflet d’une époque et notre vision des espaces verts a beaucoup évolué avec les décennies », nous explique Timothée Grisel, paysagiste amoureux de jardins romantiques, poétiques et vivants.
Il nous raconte : Jusqu’au siècle dernier, le rôle des jardins était principalement de nourrir la population, les jardins d’agrément étaient limités aux familles aisées dont le patrimoine arboré mettait en lumière leur fortune. Mais avec les années, le jardin nourricier a fait place aux pelouses, puis aux gazons coupés ras, principalement à cause de l’avènement de la tondeuse, puis de la pétrochimie. Le rêve américain du jardin à la pelouse bien soignée d’inspiration anglaise a gagné nos cœurs, signe d’une réussite sociale d’après-guerre. Malheureusement notre climat n’est pas celui des Anglais, il pleut beaucoup moins régulièrement chez nous, ce type de jardin est moins adapté à notre région et demande donc plus d’arrosage et d’utilisation de produits chimiques si l’on souhaite un gazon bien vert. Les changements climatiques amplifient ce phénomène rendant ce modèle insoutenable dans le temps. Il est donc temps de faire évoluer notre façon de penser nos pelouses et d’écrire une nouvelle page de l’histoire des jardins.
« L’engouement pour les gazons ras et dépourvus de vie perdure et les raisons sont multiples », relève Stéphane Wüthrich, éco-paysagiste qui allie esthétisme et pratiques écologiques pour régénérer le Vivant.
Il ajoute : Cette ferveur est souvent engendrée par des peurs et à des idées reçues liées au marketing de certains lobbys. L’industrie agro-chimique martèle l’opinion publique depuis des décennies en véhiculant l’idée qu’un jardin devait être carré, dépourvu de « mauvaises herbes » et entretenu de manière intensive. Ces industries en sont économiquement les grandes gagnantes aux dépens du Vivant et de la santé publique. En tant que paysagiste, il est parfois difficile de faire passer ces messages et de faire comprendre que, par exemple, la mousse ou le trèfle dans le gazon sont essentiels et qu’il est nécessaire de prendre en compte les organismes dépendants de ces milieux sans qui notre survie est impossible. Notre rôle est aussi de faire changer la façon dont tout un chacun aborde son jardin et de montrer qu’il est possible d’avoir un jardin esthétique, luxuriant, vivant et durable avec le minimum de contraintes et de « nuisibles ». Il faut avoir une vision d’ensemble et tout est une question d’équilibre et de patience. L’avantage est que les solutions sont souvent simples, locales et peu coûteuses. Et le problème peut devenir la solution en réalisant qu’une mauvaise herbe n’est jamais qu’une plante mal-aimée.
Conclusion
Un jour, nous regarderons en arrière en pensant à cette époque sombre et en se demandant comment a-t-on bien pu croire que cultiver notre nourriture avec du poison était une bonne idée ? Dr Jane Goodall, célèbre anthropologue britannique.