Un mois de janvier mortel
Non, il n’y a malheureusement pas de second degré à chercher dans le titre. La trentaine de janvier 2023 a été le mois le plus mortel, au Val-de-Travers, depuis très longtemps. Alors que l’entreprise de pompes funèbres Yan Dubois s’occupe d’une douzaine de décès par mois environ, elle a enregistré vingt deuils en trente jours. En une semaine, c’est l’équivalent d’un mois de travail « normal » qui a été effectué. Des chiffres qui n’avaient même pas été atteints durant les mois de Covid les plus intenses. Alors, comment expliquer ce phénomène et doit-on s’attendre à une nouvelle hécatombe en février ?
La position des pompes funèbres Dubois est unique dans le canton. Alors que plusieurs concurrents se côtoient partout ailleurs, c’est la seule entreprise du genre au Val-de-Travers. À tel point que c’est devenu un marqueur fort des services funèbres vallonniers. La présence de Yan Dubois et de son équipe fait partie intégrante du processus de deuil dans beaucoup de familles. « Vous vous rappelez, vous étiez déjà là pour enterrer ma maman. Maintenant c’est au tour du papa. » « Je me souviens de vous, Yan, vous travailliez avec votre grand-père à l’époque. Ça fait un bail. » Ce sont ce genre de phrases qui révèlent quotidiennement la place importante prise par l’entreprise dans la vie de la région. Car oui, la mort fait partie de la vie.
« Même pendant le Covid, on n’a pas eu autant »
Il en a vu des choses et il s’en est occupé des deuils. Le Butteran le dit lui-même, « il faut aimer ce que je fais pour pouvoir durer si longtemps. » C’est cette passion qui lui a permis de tenir la barre lors de ce mois de janvier intense. « Janvier est toujours un mois à activité assez élevée mais c’était vraiment beaucoup cette année. Même pendant le Covid, on n’a pas eu autant. En 2021 et 2022, nous avions eu quinze à seize ‹ interventions ›. Cette fois-ci, on est monté à vingt alors que la moyenne tourne aux alentours de douze. »
Lorsqu’on l’interroge, Yan Dubois livre une autre réalité : « À vrai dire, ça fait plusieurs années que le nombre de décès annuel, dont je m’occupe, est en augmentation. En une décennie, c’est monté progressivement de 120 deuils par an à environ 140. Un cap qui s’est stabilisé depuis 2015 à 2016. » Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas eu une augmentation significative d’activité à cause du Covid. « En revanche, le travail s’est fait par de grosses vagues. Il y avait des mois très mortels et puis d’autres qui étaient plutôt en sous-mortalité par rapport à la moyenne. »
Décalage des saisons en cause ?
En temps normal aussi, il y a quelques vagues (plus petites) en fonction des saisons. « En généralisant les choses, on peut dire que les décès augmentent en hiver et ralentissent en fin de printemps et au début de l’été. Au final, le nombre de décès a tendance à s’équilibrer sur un an. Le pic intervient plutôt en novembre-décembre habituellement et les problèmes cardiaques augmentent généralement à cette période. » Alors pourquoi le pic intervient-il en janvier cette année ? « Il n’y a pas une seule raison, selon moi. Je pense que c’est d’abord à cause d’un décalage des saisons. On a eu des températures douces en début d’hiver et cela a retardé le pic de quelques semaines. Il y a dix ans, j’avais eu à gérer dix décès en janvier par exemple. Ça fait une sacrée différence. » Ces chiffres s’expliquent aussi par un vieillissement de la population au Vallon, ce qui a conduit à la hausse globale des décès (140 par an environ).
Système immunitaire plus fragile
Le constat de ce mois de janvier mortel s’applique, à priori, sur l’ensemble du canton. « Le crématoire cantonal de Beauregard a aussi connu un mois de janvier intense. Il a d’ailleurs fallu qu’ils travaillent un samedi matin pour faire face à l’afflux. » Certains médecins ajoutent un autre ingrédient au « cocktail mortel » de janvier : l’affaiblissement « post mesures Covid » des défenses immunitaires. Plusieurs d’entre eux ont pris la parole dans la presse pour appeler à la prudence. Les gestes barrières, appliqués pour lutter contre la propagation du Covid, ont fatalement amené une exposition moindre de l’organisme aux virus.
L’organisme n’ayant pas de mémoire, il ne savait plus forcément comment lutter contre les agents pathogènes lorsque les mesures ont été levées. In fine, la période hivernale, et ses nombreux virus et bactéries, sont arrivés au moment de cet affaiblissement général du système immunitaire. Ce qui fragilise tout particulièrement les personnes âgées ou fragiles. La bonne nouvelle, c’est que le pic, comme la neige, devrait finir par se tasser.
Kevin Vaucher